CHAPRON HENRI (1886-1978)
Carrossier français, Henri Chapron, exerça son métier pendant plus de cinquante années durant lesquelles la « voiture sans chevaux », d'abord objet de curiosité, puis objet de luxe, enfin objet de consommation, donna matière à l'une des plus belles aventures techniques du xxe siècle.
Henri Chapron fit l'apprentissage de son métier chez les plus importants carrossiers, et à l'âge de trente-trois ans, il installa son propre atelier à Neuilly. C'est là qu'il entreprit ses premières réalisations.
Les véhicules réquisitionnés pendant la Première Guerre mondiale avaient besoin, une fois rendus à un usage civil, d'une carrosserie rénovée et remise au goût du jour. Les ventes de véhicules militaires par l'administration des Domaines fournirent aussi matière à transformation, et Chapron commercialisa, à partir d'ambulances Ford T issues des surplus américains, des torpédos et des conduites intérieures, d'une finition bien supérieure à celle des modèles de série.
Il put donner la pleine mesure de son talent sur les châssis que les principaux fabricants français proposèrent au début des années 1920. Avec des lignes sobres et classiques, il habilla des Delage, des Panhard, des Ballot, etc. Il s'agissait de voitures moyennes, bonnes routières, avec des moteurs de deux ou trois litres, qui reçurent des carrosseries de berlines, de coach, de coupés ou de cabriolets. C'est sur les châssis Delage que Chapron fit preuve d'une grande maîtrise, en dessinant pour les D6 et D8 des caisses aux allures sportives, allongeant les lignes du capot. Il chercha également à affiner la silhouette de ces voitures en masquant le châssis par des éléments latéraux, largement ajourés.
Une troisième époque de la carrière de Chapron coïncida avec son installation à Levallois et la parution de la Delahaye 135. Après quatre à cinq années difficiles, liées à la crise qui frappa l'Europe à partir de 1931, ses nouveaux ateliers, établis en 1927, trouvèrent dans cette voiture une solide base de travail et la quasi-totalité des carrosseries qui l'équipèrent avant et après la guerre portèrent sa griffe.
Si la qualité du travail et de la finition n'avait rien à envier à celle qui caractérisait les précédentes productions, la pureté du dessin eut à souffrir des goûts de l'époque, tout particulièrement dans les années 1940-1950. L'influence américaine et l'adoption de la ligne « ponton » aboutirent à un alourdissement des formes que Chapron essaya vainement de corriger, en employant des chromes et des peintures « deux tons », soulignant le galbe des ailes. L'apparence élancée qui en résultait atténuait un peu l'aspect massif de ces grandes et grosses voitures qui lui apportèrent néanmoins une enviable renommée dans le domaine des automobiles sportives, luxueuses et rapides.
L'évolution économique et technique allait cependant faire naître de nouvelles difficultés pour le carrossier de Levallois. Les fabricants français disparaissaient les uns après les autres, et ceux d'entre eux qui subsistaient, abandonnaient la construction traditionnelle au profit de la structure monocoque.
Chapron carrossa les dernières Delahaye, Delage et Talbot (tout particulièrement les Lago Record au milieu des années 1950), ainsi que les Salmson 2300 en version quatre portes et plusieurs Hotchkiss, dont le beau cabriolet à quatre places baptisé Anthéor. Après avoir signé encore quelques habillages qui, malheureusement, ne donnèrent jamais le jour à une fabrication en série (Mathis, cabriolet Grégoire, etc.), il se tourna vers la production des grands fabricants et tenta, dans une relative indifférence, de produire des modèles dérivés : coupé Frégate, coupé et cabriolet Dauphine.
C'est en association avec Citroën que Chapron allait renouer avec le succès : il entreprit, dès 1960, la production d'un cabriolet DS19, et de plusieurs modèles issus de la même base : un coupé 2 + 2, une berline, un coupé et un cabriolet 4-5 places. La collaboration avec la firme du quai de Javel dura jusqu'aux années 1970 puisque des SM spéciales, notamment carrossées en berlines sur châssis allongé, sont sorties des ateliers de Levallois.
Chapron eut aussi le privilège de carrosser le « char de l'État » en commençant par la Talbot du président Auriol, puis les Citroën 15-Six du président Coty. Il créa aussi, pour le général de Gaulle, une DS21 à empattement allongé qui n'eut qu'un usage limité. Les deux Citroën SM, décapotables à quatre portes, qui furent utilisées par le président Pompidou, constituent les dernières voitures spéciales conçues pour la présidence.
Au milieu de la cohorte des carrossiers français, Henri Chapron ne fut ni le plus grand ni le plus prestigieux. Mais il fut celui qui dura le plus longtemps, exerçant son activité, jusqu'au dernier jour, à la tête de son entreprise. Sans doute fut-il le seul, en France, à avoir toujours essayé de s'adapter aux conditions du marché et à s'être soucié de concilier l'art classique du carrossier avec les exigences techniques et économiques du fabricant d'automobiles.
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Écrit par
- Jean-Louis BLAISIUS
: licencié en droit, diplômé de l'Institut d'études politiques de Lyon, rédacteur en chef de
Minis Auto Magazine
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