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CRANE HART (1899-1932)

T. S. Eliot, auteur de la sombre Terre Gaste, trouva les moyens spirituels de survivre à sa pessimiste vision ; Crane, qui la voulait renverser en un vaste péan d'affirmation, n'y parvint point : c'est en sautant dans la mer des Caraïbes du navire S.S. Orizaba qui le ramenait du Mexique, le 27 avril 1932, qu'il mit fin à une difficile existence commencée à l'orée du siècle à Garrettsville dans l'Ohio. « Le fond de la mer est cruel... »

C'est dans son « ascendance clivée », la mésentente de ses parents et leur divorce lorsqu'il eut dix-sept ans, qu'il faut trouver la première d'une série de coupures et de partages que son œuvre s'acharnera à exorciser. Le Pont de Brooklyn (1930), son œuvre majeure, place ainsi la grande métaphore du pont au cœur de cette « symphonie au thème épique ». Le désir de rapprocher les continents éloignés, le passé et l'avenir, la nature et la technologie, les deux bords de l'Amérique ; sa fascination pour les formes qui structurent l'espace traduisent son besoin profond de retrouver les « intégrales de l'existence » menacées par la rupture parentale, une bisexualité difficile, un tempérament quelque peu cyclothymique qui le fait osciller d'enthousiasmes en dépressions et confère à sa vision un tour alternativement pessimiste et optimiste.

À sa sortie d'école, où il avait commencé d'écrire des poèmes aux métaphores déjà riches et complexes, Hart Crane fut successivement commis ou petit employé dans diverses entreprises de New York et de Cleveland, gagnant assez mal une vie tourmentée où seuls les voyages accomplis avec sa mère (en Europe et à Cuba entre autres) viennent mettre une touche de lumière. Ce n'est que forcé par la nécessité qu'il accepta en 1919, l'espace d'une courte année, de travailler pour son père, à Akron. La mésentente lui fit rapidement renoncer à cette vie et, en 1920, grâce au mécénat d'un banquier new-yorkais, Otto Kahn, il s'établit définitivement dans la grande cité. L'une des chambres qu'il y occupera donne sur le pont de Brooklyn. En 1923 est achevé son premier long poème, Le Mariage de Faust et d'Hélène, dont le titre dit assez la volonté de réconciliation qui le meut. Cette prime tentative de réponse au pessimisme culturel d'Eliot figurera dans le recueil White Buildings (1926) où s'explore déjà « le temps du partage » et s'interrogent à la fois « les incunables du grotesque divin » et « ceux que n'a pas tordus l'amour d'irréconciliables choses ».

Fortement marqué par Whitman et Melville (à qui l'un des poèmes du recueil est consacré), ainsi que par le romantisme et l'idéalisme philosophique des transcendantalistes, Crane est également nourri de poètes français. Rimbaud et Laforgue, en particulier (il traduira en anglais « Locutions des Pierrots »), ne sont pas sans imprégner sa vision, sa tonalité et sa forme.

C'est à la fois grâce à ses contacts avec Waldo Frank et en raison de son désir de célébrer la richesse de tous les aspects de la vie contemporaine qu'il commencera d'écrire Le Pont, à Cuba, où l'assistance d'Otto Kahn lui permit de séjourner. Interrompue par le découragement, puis achevée par un acte de pure volonté qui parvient mal à le dissimuler, cette œuvre se veut vision mythique d'une Amérique épandue entre Atlantide et Orient, travaillée par les forces naturelles et par l'Histoire, lieu de rencontre entre le Verbe divin et les rêves humains.

Poème dont la lecture est rendue difficile par un tissu dense d'allusions historiques et mythologiques et par une pratique métaphorique qui se refuse constamment à l'explicitation ou à la paraphrase, Le Pont est un texte auquel la critique continue de reprocher son obscurité[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de littérature américaine à l'université d'Orléans

Classification

Pour citer cet article

Marc CHÉNETIER. CRANE HART (1899-1932) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Marc CHÉNETIER, Rachel ERTEL, Yves-Charles GRANDJEAT, Jean-Pierre MARTIN, Pierre-Yves PÉTILLON, Bernard POLI, Claudine RAYNAUD, Jacques ROUBAUD
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    L'isolement de Hart Crane n'est pas mieux explicable que les regroupements forcés dont il vient d'être question. La vision whitmanienne et transcendantaliste qui est la sienne ne lui interdit aucunement des recherches de forme qui pourraient aussi bien l'apparenter au Williams de Paterson...

Voir aussi