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LAPASSADE GEORGES (1924-2008)

Comme d'autres sociologues français – Gérard Althabe, Pierre Bourdieu, Henri Lefebvre, René Lourau – Georges Lapassade est originaire du Béarn. Né le 10 mai 1924 à Arbus, il gardera, sa vie durant, l'accent de son pays. Il passe une enfance agitée qu'il raconte dans L'Autobiographe (1980). Il fréquente le mouvement des Auberges de jeunesse. Musicien, il joue du piano, de la guitare, de l'accordéon. Il devient instituteur, puis fait des études de philosophie qui le conduisent à Montpellier, puis à la Sorbonne. Dans les années 1950, il entreprend une psychanalyse « pour se soigner de son homosexualité ». Elle l'aide à ne plus détruire ses textes, et à s'accepter. Après l'agrégation, il rédige douloureusement une thèse d'État qu'il soutiendra en 1962 sur L'Entrée dans la vie, essai sur l'inachèvement de l'homme (1re éd. 1963, nouvelle éd., Anthropos, 1997). Ce livre développe l'idée d'une affiliation difficile de l'homme à son rôle d'adulte. C'est un manifeste pour une éternelle adolescence. Dans La Fin de l'histoire, publié en 1970, Henri Lefebvre voit l'un des dix livres les plus importants du xxe siècle. Entre 1958 et 1962, Lapassade a travaillé avec Kostas Axelos, Joseph Gabel et Edgar Morin à la revue Arguments. Il participera aussi, avec Cornélius Castoriadis, Michel Lobrot et quelques autres à Socialisme ou Barbarie.

En 1958, il est animateur à la cité universitaire d'Antony. Confronté à des tracasseries bureaucratiques, il découvre alors l'analyse institutionnelle, théorie qui vise à comprendre la manière dont la personne et le groupe sont pris aux pièges du système institutionnel. Lecteur attentif de La Critique de la raison dialectique de Sartre, il pense que certaines formes politiques de dynamique de groupe peuvent aider à créer une autogestion par les acteurs de leur propre vie, notamment sur le terrain de l'école. Lapassade dispute à Félix Guattari la paternité du terme « analyse institutionnelle ». En 1962, lors du colloque de Royaumont sur « Le psychosociologue dans la cité », il expose les principaux concepts de ce courant de pensée (l'instituant, l'institué, l'institutionnalisation, l'analyseur, l'autogestion, le transfert et le contre-transfert institutionnels, l'implication), qu'il développera durant cinquante ans... En 1965, aux Presses universitaires de la Sorbonne, il publie Groupes, organisations, institutions qui constitue un véritable manifeste de ce courant à la fois psychosociologique, microsociologique et ethnographique (par sa reprise de la méthode du journal de terrain).

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Pour construire son analyse institutionnelle, Lapassade s'intéresse d'abord à la psychothérapie institutionnelle, puis à la pédagogie institutionnelle. Il développe la « socianalyse », une forme d'intervention sociologique en institution qu'il avait découverte chez Maria et Jacques Van Bockstaele. En 1964, il fonde avec Michel Lobrot, Raymond Fonvieille et René Lourau, le Groupe de pédagogie institutionnelle (G.P.I.) qui développera des recherches sur l'autogestion pédagogique, d'abord dans l'enseignement primaire et secondaire, puis dans l'enseignement supérieur. Dans Tout compte fait, Simone de Beauvoir raconte l'occupation de la Sorbonne qu'elle découvre grâce à George Lapassade. Les recherches sur l'autogestion trouvent leur plein épanouissement en mai 1968, et ensuite à l'université de Vincennes, dont Lapassade deviendra l'une des grandes figures.

Après avoir été chercheur au C.N.R.S., Lapassade a été maître de conférence de sociologie à Tunis, puis après son expulsion de ce pays, à Tours. En 1969, il publie un Procès de l'université et en 1970, il fait le bilan institutionnel de l'université du Québec à Montréal. En 1971, il publie L'Arpenteur, Le Livre fou, L'Autogestion pédagogique, L'Analyseur et l'analyste. Il collabore à la revue Autogestions, notamment en y publiant un numéro sur la Commune de Paris. Il publie encore avec Lourau Les Clés pour la sociologie, en 1972. Cette même année, il entre comme professeur à l'université de Paris-VIII-Vincennes. Il y rejoint Jacques Ardoino et Michel Lobrot. Dès 1973, il y fait entrer René Lourau, Remi Hess, Antoine Savoye, Patrice Ville et, l'année suivante, René Barbier, Lucette Colin, Laurence Gavarini. Tout ce groupe fait vivre le collège invisible et conflictuel de l'analyse institutionnelle.

L'université de Paris-VIII déménagera à Saint-Denis en 1980. Lapassade ne quittera plus Saint-Denis, puisque, après sa retraite, en 1992, il garde un bureau dans cette université, où il aide ses anciens étudiants ou disciples devenus professeurs à encadrer les étudiants. Il assure des cours jusqu'en 2005. Il aide les étudiants à écrire leurs mémoires, à publier des articles et des livres. Entre 1980 et 2002, son activité de coordinateur de numéros de revues (Pratiques de formation, notamment), d'animateur d'ouvrages collectifs est constante. Il achète une maison en face de l'université au début des années 1990, où il hébergera des étudiants nécessiteux, à une époque où l'université de Saint-Denis ne dispose pas de cité universitaire. Il lègue cette maison aux « irrAIductibles », le groupe qui anime la Revue interculturelle et planétaire d'analyse institutionnelle, qu'il a fondée en 2002 et qui a publié des auteurs de cinquante pays.

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Georges Lapassade a beaucoup voyagé. Il s'est passionné pour les phénomènes de transe, de rites de possession. Il a décrit ces rites en Tunisie, au Maroc, au Brésil, en Italie du Sud. Il s'est passionné pour la dynamique des groupes sociaux réels. Son travail avec le mouvement du happening (1966-1968), avec le Living Theatre (1968-1970), ou encore au sein du Front homosexuel d'action révolutionnaire (F.A.H.R., 1972-1973), s'est prolongé ensuite par un intérêt pour la bioénergie, et les groupes de thérapie du potentiel humain (1974-1975) qu'il fait entrer à l'université comme composante des sciences de l'éducation. Il crée le département d'administration économique et sociale en 1976. À l'époque, il se trouve être doyen de la faculté de droit ! Il développe alors l'idée d'une analyse institutionnelle interne aux établissements. Dans son livre De Vincennes à Saint-Denis, paru en 2008, il reprend son journal de 1984 sur la réforme des D.E.U.G. : en s'appuyant sur sa découverte de l'ethnométhodologie qu'il fait connaître en France, avec l'appui de son premier étudiant de Tours, Alain Coulon, il propose une réflexion sur la difficulté d'introduire le changement à l'université. Avec Patrick Boumard et Rémi Hess, dans L'Université en transe (1987), il avait aussi fait une analyse à chaud du mouvement étudiant contre la loi Devaquet.

Entre 1990 et 2008, il explore les ressources de l'ethnosociologie, de la microsociologie appliquées à la jeunesse. Il publie L'Ethnosociologie (1990), Le Rap (1990), Guerre et paix dans la classe (1993), Microsociologie de la vie scolaire (1998). Prolongeant les travaux d'Ernest Hilgard (Divided Consciousness, 1977), il s'intéresse à la dissociation psychologique, la « désagrégation mentale » étudiée par Pierre Janet dans sa thèse de 1889, appréhendée non plus comme une pathologie relevant de la psychose mais comme une ressource, une potentialité. C'est alors qu'il écrit La Découverte de la dissociation (1998), Regards sur la dissociation adolescente (2000) et Le Mythe de l'identité. Apologie de la dissociation, avec Patrick Boumard et Michel Lobrot, en 2006. Il publie aussi des livres sur le Maroc (Essaouira ; D'un Marabout l'autre), ainsi qu'une trentaine d'articles sur l'analyse institutionnelle entre 2000 et 2008.

— Remi HESS

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres et sciences humaines, professeur de sciences de l'éducation à l'université de Paris-VIII

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