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OUVRARD GABRIEL JULIEN (1770-1846)

Fils d'un papetier de Clisson, Ouvrard passe à Nantes ses vingt premières années. Il y acquiert une intime connaissance des mécanismes de la spéculation financière, des règles du commerce transatlantique, des possibilités du continent américain. Tout au long de sa vie aventureuse, il sera donc le témoin de cette France maritime, banquière et commerçante qui connut un extraordinaire développement entre 1780 et 1790, mais dont les guerres de la Révolution ont ruiné les espoirs. La fortune spéculative d'Ouvrard (souvent renversée, rapidement reconstituée) a toujours pour fondement un seul principe : se trouver présent au moment où les pouvoirs civils et militaires sont incapables d'assurer les rentrées financières ou les approvisionnements indispensables, et se substituer à eux moyennant d'importantes concessions. Il achète, sous la Révolution, une grande quantité de papier qu'il revend avec un important bénéfice. C'est sa tactique sous le Directoire, où il assure les subsistances de la Marine, en 1802, où il garantit l'alimentation de Paris, en 1804, où il se charge du service général des besoins du Trésor, en 1805 à Madrid, où il se fait concéder l'ensemble du circuit monétaire et commercial entre l'Espagne et ses possessions d'Amérique, en 1815, où il est munitionnaire général des armées napoléoniennes à Waterloo, en 1817, où il place à l'étranger l'emprunt qui permet l'évacuation de la France par les troupes de la coalition, en 1823, où il est munitionnaire général de l'expédition espagnole du duc d'Angoulême. Mais les différents régimes qu'il a servis dans des moments difficiles regrettent vite de s'être liés à lui et emploient, pour annihiler leurs dettes, les procédés les plus brutaux : Ouvrard est ainsi emprisonné en 1806 et de 1809 à 1813 par Napoléon, en 1824 par la Restauration. Cependant, en raison de sa parfaite connaissance de l'Europe financière, de son crédit international, de sa puissance d'imagination et d'activité, ce spéculateur ne peut s'empêcher de toucher à la plus haute politique et de s'y rendre nécessaire : Napoléon, qui l'avait persécuté, veut lui confier ses intérêts personnels en partant pour Sainte-Hélène ; Richelieu fonde d'après ses conseils, en 1816, la Caisse d'amortissement ; Talleyrand le consulte, en 1830, dans les difficiles transactions financières qui entourent la naissance du royaume belge. Mais il n'a connu aucun succès dans son grand projet, qu'il a développé pendant des années : reconstituer le pacte de famille franco-espagnol et barrer ainsi la route de l'Amérique latine au commerce anglo-américain. Ouvrard a manié d'immenses affaires, et il est mort pauvre ; il a fréquenté intimement tous les puissants du monde pendant quarante ans, et il n'a pu se déprendre, auprès d'eux et de la postérité, d'une réputation légèrement douteuse. C'est peut-être que les combinaisons complexes par lesquelles il tentait d'assurer sa fortune personnelle, en immeubles et en titres — et sur lesquelles la lumière ne sera sans doute jamais complètement faite —, inspiraient à ses collaborateurs, parmi lesquels il compta Cambacérès et Roy, le désir de n'être pas trop longtemps dépendants de lui. C'est surtout qu'aucun régime ne s'est senti assez fort pour s'attacher ses talents sans craindre d'être utilisé par lui.

— Michel BRUGUIÈRE

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, ancien rapporteur général du Haut Comité de la langue française

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Michel BRUGUIÈRE. OUVRARD GABRIEL JULIEN (1770-1846) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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