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BOUYGUES FRANCIS (1922-1993)

Francis Bouygues n'était pas l'autodidacte que la légende décrit parfois. Son grand-père auvergnat était arrivé à Paris sans un sou, mais Francis lui-même était centralien, fils de centralien, et diplômé à vingt-cinq ans du Centre de perfectionnement aux affaires (C.P.A.). En 1946, il avait épousé la fille aînée de René Tézé qui dirigeait des distilleries.

C'est au C.P.A. qu'il rencontre un professeur, Maurice Schlogel, futur numéro deux du Crédit lyonnais. “Monsieur Schlogel” aidera et pilotera le jeune homme. En 1952, celui-ci se fait prêter par son père et son beau-père 1,2 million d'anciens francs (l'équivalent de 100 000 francs d'aujourd'hui) pour fonder son entreprise de bâtiment : Bouygues.

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Premier contrat, la construction d'une usine pour I.B.M. France. Le métier est dangereux. Les chantiers durent longtemps. Ils peuvent être ralentis par des intempéries et perturbés par toutes sortes d'incidents. Gare aux pertes ! Francis Bouygues peaufinera sa méthode, ne laissant rien au hasard : tenir les délais pour éviter les pénalités de retard, se faire payer le plus vite possible, réclamer le maximum de rallonges financières, placer au mieux la trésorerie. Pour faire fonctionner “cette merveilleuse horlogerie”, Bouygues deviendra l'entreprise la mieux informatisée de France.

On dira tour à tour de son animateur qu'il est autoritaire, mégalomane, paternaliste, briseur de grèves et ami des pouvoirs. “On est chez Bouygues, ici, pas chez Tartemolle !”, explosa-t-il un jour. Son bureau était surnommé l'“enfer”. La tendresse qu'il manifestait souvent à l'égard de ses collaborateurs était d'autant plus désarmante. Il fut pris, à la fin de sa vie, de passion pour les orchidées, après avoir frôlé la mort en 1976 (on dut lui enlever un poumon).

Solide, rugueux, sans grâce, mais formidablement efficace, Francis Bouygues fut donc un bâtisseur d'empire, l'homme des mille et un défis. L'entreprise devint célèbre en 1969 quand elle emporta, auprès de la Ville de Paris, le chantier du Parc des Princes. À cette occasion, Bouygues fut accusé par la gauche de trafic d'influences. “J'ai une réserve inépuisable de mépris”, répondra-t-il laconiquement.

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Dès 1970, l'action de la société est introduite en Bourse. Au fil des ans, Francis Bouygues accroît sa puissance. Il s'entoure de collaborateurs à toute épreuve et de ses quatre enfants — mais l'aîné, Nicolas, préférera claquer la porte du groupe, en 1986, pour créer sa propre affaire. Flanqué de ses barons, l'“Auvergnat massif” a bâti une entreprise à la japonaise, faisant de ses employés une nation avec sa chevalerie, l'ordre des Compagnons du minorange (contraction du minium orange, l'antirouille des chantiers). Aujourd'hui, mille deux cents personnes, sur un total de quatre-vingt-quatre mille employés du groupe, en font partie.

À coup de travail acharné, de rudes batailles, d'adaptations aux grandes tendances du marché sur tous les continents, Bouygues s'impose comme le numéro un mondial du bâtiment.

Après le Parc des Princes, les grands chantiers se multiplient : le palais des Congrès de la porte Maillot, le complexe olympique de Téhéran, l'aérogare de Roissy 2, un pont immense au Koweït, le Forum des Halles, les centrales nucléaires de Bugey, de Chooz et de Saint-Alban, l'énorme contrat, enfin, de l'université de Riyadh, qui aurait rapporté au groupe de 4 à 5 milliards de francs. Plus récemment, celui-ci aura construit le pont de l'île de Ré, la Grande Arche de la Défense et la grande mosquée de Casablanca.

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En 1986, alors que la manne des pétro-dollars commence à se raréfier, après une O.P.A. ratée sur S.P.I.E.-Batignolles, Bouygues s'empare de la S.C.R.E.G. Cette affaire, numéro deux français du B.T.P., avait connu de graves déboires à l'étranger. Sa filiale Colas est le principal constructeur de routes en France. Le “shogun du Cantal” saura ainsi profiter de l'essor des travaux routiers en métropole, à la fin des années 1980. “Comme à la chasse, je cherche à être le premier à tirer sur le gibier qui passe”, dira-t-il. Presque en même temps que la S.C.R.E.G., il rachète la S.A.U.R., troisième distributeur d'eau en France.

Le plus beau trophée du chasseur sera, en 1987, T.F. 1, acquise d'un souffle, à force de ruse, de méthode et d'obstination, contre le groupe Hachette, parti pourtant favori. Dans les années suivantes, Francis Bouygues, estimant qu'il y avait “une chaîne généraliste de trop”, emploiera tous les moyens stratégiques pour neutraliser La Cinq, infligeant à Jean-Luc Lagardère un cinglant revers.

Enfin, en avril 1991, à la stupeur des professionnels, il a l'idée de se lancer dans le cinéma. Il crée sa propre société de production, Ciby 2 000 (comme cinéma Bouygues et Cecil B. De Mille !). L'obtention de la palme d'or à Cannes, avec La Leçon de piano, fait taire les railleurs.

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Symbole de la nouvelle puissance du groupe, le siège social Challenge est inauguré, en 1988, à Saint-Quentin-en-Yvelines. Vaisseau spatial, palais des mille et une nuits, Versailles au xxie siècle ? Un peu de tout cela. Francis Bouygues accomplissait ses rêves.

À la différence de nombreux grands dirigeants, le patron a bien assuré sa succession. Depuis 1989, son dernier fils, Martin, préside le groupe. Avec son frère Olivier, sa mère et le Crédit lyonnais, il verrouille bien le capital. “Sa chance, affirment ses proches, est d'être complètement différent de son père. L'aîné avait voulu se mesurer à lui. Martin cherche seulement à faire aussi bien.”

— Philippe DENOIX

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