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LAUDER ESTÉE (1906-2004)

Quatre-vingt-dix-sept ans ? Sans doute un peu moins, peut-être un peu plus. Estée Lauder a emporté, le 24 avril 2004, le secret de son âge, à l'image du dernier parfum qui porte sa griffe, Beyond Paradise. La femme d'affaires avisée qui incarna à la perfection tout à la fois le « rêve américain » et le culte de la beauté féminine avait su faire preuve cinquante ans durant d'un art consommé du mystère et de la mise en scène.

Aujourd'hui, la société de cosmétiques que la fille d'émigrés juifs hongrois fonda à New York au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est cotée en bourse, pèse quelque 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires, compte plus de 21 000 salariés répartis dans 130 pays, et surtout, en conservant son indépendance, fait toujours figure d'anomalie dans un secteur des parfums dominé par de très grands groupes (L'Oréal, LVMH...). Depuis juillet 2004, l'affaire est à nouveau dirigée par un Lauder, William, l'un des petits-fils d'Estée Lauder, qui, après un intermède assuré par Fred Langhammer, succède ainsi à son père.

Avec Elisabeth Arden et Helena Rubinstein, Estée Lauder forma la troïka des reines des cosmétiques hauts de gamme. Mais plus encore que ses deux rivales new-yorkaises, elle a véritablement révolutionné son art en y ajoutant une bonne dose de marketing et de flair.

Tout a commencé durant les années 1930, dans la cuisine d'un modeste appartement du Queens où Joséphine Esther Mentzer testa d'abord sur elle-même, puis sur ses voisines, une crème veloutée concoctée par son oncle, chimiste viennois reconverti dans la dermatologie. Succès immédiat pour ce premier onguent censé conférer à la peau la douceur de la soie. « Esty » (son surnom fut ensuite francisé pour ajouter au rêve) démarche ensuite les salons de coiffure du quartier. Là encore, triomphe assuré. À ses clientes, la jeune femme applique d'emblée les deux règles d'or qui seront sa marque de fabrique : le « talk & touch » et le « gift with purchase ». Autrement dit, d'abord, le test grandeur nature, où l'on n'hésite pas à étaler un peu de produit sur la main de la future cliente tout en nouant avec elle une relation personnelle ; ensuite, le petit cadeau remis lors de l'achat, plus connu aujourd'hui sous le nom d'échantillon, qui permet de fidéliser sans se ruiner.

Avec ces deux principes simples pour tout viatique, la jeune femme crée avec son mari, en 1946, sa petite entreprise qu'elle baptise, Estée Lauder. Un nom court et percutant ; élégant et un brin mystérieux. Autant dire un nom digne d'un parfum. À cette époque, toutefois, la maison n'en présente toujours aucun : juste deux crèmes, une huile nettoyante et une lotion ! Le premier parfum ne surgit sur les rayons du grand magasin Saks de la Cinquième Avenue (et non en pharmacie, comme pour sa rivale Helena Rubinstein) que sept ans plus tard. Youth Dew (Rosée de jeunesse), une vraie pépite surconcentrée, conditionnée sous forme d'huile de bain a depuis lors fait le tour du monde. La légende veut qu'Estée ait réussi à conquérir Paris et ses Galeries Lafayette sur un coup de... flair : alors qu'on traite avec indifférence sa dernière création, miss Lauder jette à terre un flacon, dont les effluves se répandent dans les rayons ; les clientes se ruent immédiatement. Un demi-siècle plus tard, le charme opère encore.

Estée Lauder entre dès lors dans une logique industrielle. Pour ce faire, elle popularise deux nouvelles règles d'or. La première consiste à inventer les collections saisonnières de maquillage, toutes plus irrésistibles les unes que les autres. Ce qui a l'immense mérite de renflouer la marque en permanence et d'obliger la cliente inconditionnelle à prouver son attachement plus d'une fois par an. La seconde a été allégrement pillée[...]

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Guillaume EVIN. LAUDER ESTÉE (1906-2004) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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