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ELLE (P. Verhoeven)

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Descente aux enfers

Le film s’ouvre sur un viol d’un réalisme cru, filmé sans complaisance voyeuriste, avec la violence et le sordide nécessaires : verre brisé, coups, cris, halètements, jouissance de l’agresseur... Cette scène suscite un malaise qui va gangrener tout le film. Le spectateur, plongé dans le noir, est contraint d’interpréter ce qu’il entend. Lorsque la lumière surgit enfin, il lui faut admettre que l’image matérialise ce qu’il avait lui-même imaginé et dont il est dès lors quelque peu complice. Entre ces deux moments, l’indifférence du regard du chat de la maison est plus que dérangeante. Troublante aussi est l’attitude de la victime, Michèle, qui reprend avec un calme glaçant le fil de sa journée en commandant les sushis destinés au repas du soir avec son fils, tout en effaçant toute trace de l’agression.

Cette dénégation apparente des faits en rejoint une autre, que le hasard judiciaire fait justement remonter à la surface : un massacre aussi horrible qu’inexplicable, commis par son père lorsqu’elle était enfant, dont elle fut le témoin et qu’on lui jette, aujourd’hui encore, au visage. Michèle a construit sa vie sentimentale, sexuelle et professionnelle sur la négation de ce traumatisme et en effaçant ce père de sa vie. Toutes les héroïnes de Verhoeven sont en butte à la violence de la société et se battent pour tracer leur propre voie par tous les moyens dont elles disposent, ceux des femmes ou ceux des hommes qu’elles retournent contre eux. Au travail, Michèle n’hésite pas à exiger de ses concepteurs qu’ils donnent aux futurs clients ce qu’ils veulent en matière de sexe et de violence virtuels.

Pourtant, lorsque, dans un restaurant au confort feutré, elle tente d’évoquer devant ses proches (Richard, Anna, Robert) le viol dont elle fut victime, c’est son refus de porter plainte qui les choque plus que l’agression. Paul Verhoeven cite, à propos du film, la phrase célèbre prononcée par Jean Renoir (Octave) dans La Règle du jeu : « Parce que, tu comprends, sur cette Terre, il y a une chose effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons. » Chacun, en effet, dans Elle, a ses raisons et déraisons, vitales ou futiles. Mais Michèle ne se venge pas de son entourage en démasquant simplement son hypocrisie. Comme Chabrol, qu’il apprécie, Paul Verhoeven sait bien qu’il ne suffit pas de dévoiler les apparences : la chair fait partie du masque. Le titre du film n’est pas celui du roman, mais Elle. C’est bien elle-même que cherche et trouve Michèle en acceptant ses propres fantasmes, son attirance physique pour son agresseur, Patrick (Laurent Lafitte), cette « folie » entre sadisme et masochisme qu’ils pourraient partager, peut-être une autre sexualité que celle que le monde lui impose. Interprétée par Isabelle Huppert, Michèle montre un aspect lisse, presque aimable, d’une opacité terrifiante dans cette descente aux enfers. Le finale, où Michèle et Anna semblent s’enfoncer dans un cimetière, tournant le dos au monde des vivants, confirme que, pour elles, d’un mal peut naître un bien, de la mort surgir la vie... Comme La Règle du jeu, Elle est un « drame gai », mais un drame tout de même...

— Joël MAGNY

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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Pour citer cet article

Joël MAGNY. ELLE (P. Verhoeven) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 04/11/2016

Média

<em>Elle</em>, P. Verhoeven - crédits : SBS Productions, Twenty Twenty Vision Filproduktion, France 2 cinema, Entre Chien et Loup/ BBQ_DFY/ Aurimages

Elle, P. Verhoeven