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QUINET EDGAR (1803-1875)

Comme Montaigne, Pascal ou Rousseau, Edgar Quinet appartient à la famille des écrivains inclassables. Il a été l'un des maîtres de la jeunesse des années 1840, qui allait faire la révolution de 1848 ; il a donné son nom aux rues et aux écoles de la IIIe République ; il est oublié, et on ne le lit plus guère ou plus du tout. Tout aussi dédaigneux de sculpter sa statue pour la postérité que de faire carrière, l'écrivain, le professeur au Collège de France, le député enthousiaste de 1848 refuse de plier et remet tout en cause chaque fois que son indépendance est menacée. « Si je suis quelque chose, écrit-il, je suis un esprit de liberté. » Cela lui vaudra, après le coup d'État de 1851, d'être un proscrit, puis un exilé de l'intérieur dans la postérité romantique. Son patriotisme, son idéalisme républicain ont inspiré l'idéologie de la IIIe République, qui a fini par absorber et déformer l'œuvre entière, idéologie qui l'entraînera dans son discrédit. On commence à mesurer cette injustice. Une plus juste appréciation du romantisme montre quel gigantesque bouleversement politique, philosophique et religieux restait caché derrière une littérature réputée démodée. Quinet est au cœur de ce romantisme-là, où se pose la problématique de la modernité.

L'écrivain Quinet naît des questions que lui pose l'histoire : son autobiographie, qui est un chef-d'œuvre du genre et qui vient d'être rééditée, en porte témoignage (Histoire de mes idées, 1858). L'œuvre entière de Quinet comme son existence s'efforcent de répondre à cette interrogation de l'histoire. Il ressemble en cela à beaucoup d'écrivains de sa génération, mais sa tentative est souvent originale et hardie. Ses premiers essais (inédits et partiellement perdus) sont une Histoire de la conscience humaine et de la personnalité morale (1823) il doit sa première notoriété à la traduction des Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité de Herder (1825-1827). Le discours historique est, pour Quinet, un discours sans frontière : poésie épique (Ahasverus, 1833 ; Napoléon, 1836 ; Prométhée, 1838) ; drame (Les Esclaves, 1858) ; essais de critique littéraire ou artistique publiés par La Revue des Deux Mondes ; articles politiques ou ouvrages théoriques. L'Enseignement du peuple (1850), La République (1872), L'Esprit nouveau (1875) en relèvent chacun à leur manière. C'est qu'aux yeux de Quinet histoire, philosophie, littérature ne font qu'un : être écrivain, c'est tenter de déchiffrer le monde et y agir. Il vivra ses cours du Collège de France comme le grand rêve romantique du poète guide du peuple qui se réalise.

L'historien Quinet peut être contesté par ses pairs, le philosophe Quinet par les philosophes de métier, ou le poète par les poètes : il ne se soucie d'être rien sinon un écrivain dont les livres sont autant d'actions. Son écriture se situe dans un lieu intermédiaire : le trouble et la richesse de l'œuvre procèdent de là, chaque texte peut paraître parfaitement intelligible, tout dire : l'ensemble déborde de toutes parts ces signifiés vite assignables.

L'effort de Quinet vise à placer l'homme dans la perspective du temps. Il s'agit de chercher les secrets de « cette longue lutte de l'homme avec le monde », de cette grandiose aventure humaine qui se dresse contre « la tyrannie de l'univers ». « L'histoire dans son ensemble comme dans ses parties... c'est le travail du moi qui se fait jour peu à peu, se dégage par degrés de ce qui lui est étranger et aspire à se produire sous sa forme la plus libre. »

Cette lutte, c'est aussi celle de l'homme avec Dieu, et Quinet rencontrera nécessairement le problème religieux ; il tient sa place dans le développement de[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, assistant à la faculté des lettres de Besançon

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Pour citer cet article

Maurice DOMINO. QUINET EDGAR (1803-1875) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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