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ROTH DIETER (1930-1998)

Dieter Roth est mort à Bâle à l'âge de soixante-huit ans. Il était né à Hanovre, en 1930, de père suisse et de mère allemande ; en 1943, sa famille l'envoya en Suisse pour le soustraire aux cruautés de la guerre. Il garda toujours un souvenir horrifié de son pays d'origine comme des différents pays d'accueil qu'il connut ; le monde entier lui semblait un asile de fous où l'art était encore l'activité la plus libre et la moins barbare. Pour lui l'œuvre d'art idéale resta toujours le livre, comme il le redira encore en 1987 dans un entretien accordé au critique d'art Kees Broos. Il ajoutait que le meilleur moyen d'expression était l'écriture, par quoi il fallait moins entendre une volonté de littérariser l'art que la reprise du projet, envisagé par Theo van Doesburg dans les années 1930, d'une langue universelle de l'image. Il serait justifié d'évoquer une filiation mallarméenne mais, à la différence de l'auteur d'Un coup de dés... qui travailla toute sa vie à élaborer le livre, Dieter Roth procéda par approximations successives, et son œuvre ne compte pas moins de cent volumes sans compter les nombreux tomes des Gesammelte Werke (Œuvres), sorte de catalogue raisonné dont le titre rappelle les éditions d'auteurs classiques. Il est d'ailleurs émouvant qu'il ait choisi, à l'occasion d'une de ses dernières grandes expositions avec la collaboration de son fils Bjorn, au musée d'Art contemporain de Marseille (M.A.C.) en 1997, de faire non pas un catalogue, mais un livre, sorte de journal de l'exposition à la tonalité assez mélancolique ; les cahiers, réunis dans une chemise en carton, proposent le fac-similé du manuscrit, agrémenté de taches et ratures diverses ; ils sont abondamment et négligemment illustrés. Dans la « Petite Préface », Dieter Roth écrit dans un français approximatif mais expressif : « J'étais arrivé à ce stage d'alcoolisme qui ne permet plus de faire grand-chose (si on a fait quelque chose avant). Je ne parvenais plus à mettre l'ordre dans les affaires. Il me semblait possible, seulement de placer une plainte – mais de quoi ? à qui ? pourquoi ? Je prévoyais la misère argent, la misère santée (sic). Je me disait : appelle ça (la Petite Préface) Marseille Blues et montre comme basse continue le désordre à la (ta) maison. » C'est d'ailleurs son désordre domestique qu'il avait exposé dans les salles du M.A.C. Il était beaucoup trop fasciné par la décomposition, l'un de ses mots clés, pour espérer réaliser l'œuvre d'art totale ou le livre unique. La destruction était plus que prévue, elle couvait déjà au cœur même de ses œuvres. Ainsi avait-il fait des sérigraphies portant des moisissures qu'il fallait sans cesse humidifier pour qu'elles puissent survivre. Résultat : tout le papier, raconte-t-il, avait été « bouffé ». « Je me suis donc habitué peu à peu, disait-il, à faire des choses qui „vivent“, mais cela signifie aussi „décomposition“. » Il envisageait avec une grande sérénité que des œuvres en chocolat fassent éclore des parasites qui transhument le long des cimaises et aillent dévorer les œuvres des confrères mais ne parvint jamais à convaincre les conservateurs de partager son fatalisme devant la perspective inéluctable de l'universel anéantissement.

L'œuvre de Dieter Roth se situe au confluent des avant-gardes constructivistes européennes des années 1920 et de la peinture américaine d'après guerre, Rauschenberg par exemple dont il partageait l'intérêt pour l'empreinte, pour l'impression comme en témoigne une exposition à l'Albertina de Vienne (1998), accompagnée d'un catalogue très riche, Gedrucktes Gepresstes Gebundenes 1949-1979 (Imprimé, compressé,[...]

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Jean-François POIRIER. ROTH DIETER (1930-1998) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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