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BERZSENYI DÁNIEL (1776-1836)

Il n'y a pas d'époque où le génie primitif soit plus à l'honneur qu'à celle de Dániel Berzsenyi. Aussi, cet autodidacte hongrois, né à Egyházashetye, essaie-t-il de cultiver son inspiration poétique à l'abri des influences littéraires, comme les représentants du Sturm und Drang le recommandent à la même époque, mais à son insu. Cependant, il est difficile de tenir une pareille gageure au moment où la littérature hongroise devient une institution fortement centralisée, remplaçant les organisations politiques dont l'existence est rendue impossible par la répression qui suivit l'échec de la révolte des « jacobins hongrois » en 1775. Les revendications d'indépendance politico-économiques se muent alors en exigences purement culturelles portant sur l'emploi de la langue magyare ; on prépare une réforme linguistique dont Ferenc Kazinczy est le promoteur. Il impose, au nom des idées héritées des Lumières, un goût classique qui le guide aussi dans l'appréciation des premières œuvres de Berzsenyi en 1802, marquées par la poésie gréco-latine. Mais ce « dictateur » des lettres ne réalise pas qu'il est en face d'un créateur au génie préromantique, et le plus grand poète jusqu'à Vörösmarty. De son vivant, seuls les esprits les plus éclairés reconnurent en ce hobereau attaché aux valeurs de la noblesse conservatrice un personnage progressiste, et cela malgré son conformisme dans le choix des thèmes de sa poésie patriotique, malgré l'harmonie grecque et l'aurea mediocritas proclamés comme buts poétiques. Car au moment où Herder prédit la fin du peuple hongrois, ces véritables exhortations que sont des odes comme A magyarokhoz (Aux Hongrois) ou Az ulmai ütközet (La Bataille d'Ulm) produisent un effet proprement cathartique. Leur structure ascensionnelle consistant à peindre d'abord une fresque historique pour aboutir à des considérations philosophiques reflète les interrogations d'une nation entière. Berzsenyi fait également siens des éléments de la poésie horacienne ou de celle de Matthisson (1761-1831), mais en détournant souvent leur sens pour exprimer le contenu de sa propre personnalité, profondément affectée par le sentiment du caractère éphémère de l'être. C'est là la note fondamentale de sa poésie, dans laquelle le temps est l'acteur principal. La mélancolie des élégies comme Levéltöredék barátnémhoz (Fragment de lettre à mon amie) où le poète se peint en vieil homme attisant le feu de sa lampe, entouré par le bruissement d'un insecte automnal, bouleverse le lecteur de tout temps. Cependant, Berzsenyi n'est jamais larmoyant : même dans ses poèmes pleins de nostalgie pour son pays natal ou pour ses amours perdues, on perçoit l'énergie qui l'anime. Ce vitalisme lui permet d'insuffler une nouvelle vie à la poésie hongroise traditionnellement rimée et accentuée en adaptant les formes métriques, comme le vers alcaïque ou la strophe saphique.

— Véronique KLAUBER

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Pour citer cet article

Véronique KLAUBER. BERZSENYI DÁNIEL (1776-1836) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HONGRIE

    • Écrit par Jean BÉRENGER, Lorant CZIGANY, Universalis, Albert GYERGYAI, Pierre KENDE, Edith LHOMEL, Marie-Claude MAUREL, Fridrun RINNER
    • 32 134 mots
    • 19 médias
    ...aujourd'hui l'un des rares chefs-d'œuvre de la scène hongroise. C'est encore en Transdanubie (l'ancienne Pannonie des Romains) qu'un hobereau de campagne, Dániel Berzsenyi (1776-1836), à force d'admirer Horace, métamorphose le sage poète latin en romantique hongrois frémissant de passions mal domptées, dont...

Voir aussi