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CAVAFY CONSTANTIN (1863-1933)

La langue

Cavafy a peu écrit, publié moins encore. Il élimine, remanie sans cesse, procédant à une sorte de « lente distillation de son être ». Nous tenons de lui cent cinquante-quatre poèmes. Très tôt, préoccupé de se dire lui-même, le poète emprunte à différentes écoles – romantique, parnassienne, symboliste – des techniques d'expression, mais il ne trouvera guère qu'à quarante ans la langue apte à exprimer sa pensée. Par son tempérament et par sa formation, il répugne au verbe riche, au lyrisme abondant que personnifie Costis Palamas, et préfère décrire sèchement les faits, les actes et les conduites des hommes. Renonçant à traduire les messages ambigus de l'âme, il s'efforce d'interpréter les structures intelligibles de la conscience. Lui aussi, il tord le cou à l'éloquence, bannissant les « exagérations ridicules » pour ne retenir que ce que lui a laissé deviner son usage pondéré de l'imagination. Le choix qu'il fait, pour les publier en un recueil en 1904, de quatorze poèmes sur les quelque cent quarante qu'il a alors écrits révèle un sens critique aigu et sûr. À partir de 1911, il publie ses poèmes sur des feuilles volantes que, périodiquement, il fait brocher.

Il ne se décidera pas à les grouper en un seul volume et à les publier ainsi rassemblés. Son héritier en réalisera, en 1935, une édition de luxe, mais c'est seulement en 1963 que paraît, dû à G. P. Savidis, le texte définitif des Poèmes. Dans cette édition, les problèmes de chronologie et de classement par thèmes sont scrupuleusement examinés.

À ses débuts, Cavafy adopte apparemment les théories de Coleridge sur les symboles et l'esthétique de Baudelaire – il a réalisé en 1891 une traduction restée inédite du sonnet « Correspondances ». Les thèmes qu'il aborde dans Cierges (1893), La Ville (1894), Murailles (1896), Les Fenêtres (1897), Un vieillard et Monotonie (1898), Thermopyles (1901) révèlent ses hantises : le vieillissement, la vie gâchée, l'existence en marge et le désir d'en sortir coûte que coûte, la déloyauté des hommes et des dieux et l'attachement désespéré à une cause perdue. Si le cadre historique reste imprécis et plutôt décoratif, qu'il s'agisse des guerres Médiques, de Troie, de Rome sous Néron ou de Byzance sous les Barbares, si Homère, Théocrite, Plutarque, Lucien et Dante sont présents et parfois nommés, les emprunts aux modernes – Baudelaire, Verlaine, Thomson, Hardy – apparaissent évidents.

« L'artiste du verbe a le devoir de joindre le beau et le vivant », disait Cavafy, partisan avoué de la langue populaire, mais non moins créateur d'un langage particulier qui fera sursauter les tenants du grec démotique. On y retrouve, saisis sur le vif dans les salles de rédaction ou dans la rue, des traits du parler des Grecs d'Alexandrie et de Constantinople.

Le poète ne recherche pas tant le mot précieux que le mot évocateur et précis. Les vocables qu'il emprunte aux anciens auteurs lui servent à restituer laconiquement une époque, une atmosphère, une mentalité. Langue sobre à l'extrême où dominent les verbes, d'où sont proscrits les mots composés, avare d'images et d'adjectifs, sauf, soudain, les plus usés ainsi rajeunis. « Le charme de cette langue si froide vient de ce qu'elle nous laisse deviner qu'elle gouverne avec art les passions », note Dimaras. Neutre plutôt que froide, secrètement raffinée, inimitable.

Le vers iambique est assez souple mais de prosodie rigoureuse. Le poète ne s'oblige pas à la rime mais il l'emploie, il la veut riche et souvent homophone. Répétitions, consonances, rimes intérieures et allitérations caractérisent ce style elliptique, allusif, dramatique, qui appelle aux gestes et au mime presque, tant il passe vite de la jactance au murmure, de l'insinuation[...]

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Pour citer cet article

Stratis TSIRKAS. CAVAFY CONSTANTIN (1863-1933) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • POÈMES, Constantin Cavafy - Fiche de lecture

    • Écrit par Claude-Henry du BORD
    • 844 mots
    • 1 média

    L'œuvre de Constantin Cavafy occupe une place de premier ordre dans la littérature mondiale du xxe siècle. Pourtant, le poète ne fit absolument rien pour la diffusion de ses textes. Sa vie durant, il ne cessa de composer et de classer ses poèmes (chronologiquement, thématiquement), sans jamais...

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