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LISPECTOR CLARICE (1925-1977)

« Écrire est un acte compulsif », expliquait Clarice Lispector lorsqu'on lui demandait de parler de son œuvre. Et elle ajoutait : « L'acte créateur est une douleur. Il faut un courage fou, effarant.[...] Et l'acte créateur est dangereux : vous pouvez être amené là d'où il n'est pas certain que vous puissiez revenir ». De Près du cœur sauvage à L'Heure de l'étoile, en passant par La Passion selon G.H., l'œuvre de Clarice Lispector est d'abord faite d'égarement et de rupture par rapport aux images convenues du moi et du corps, comme aux frontières qui séparent habituellement vie et littérature. Elle rompt enfin avec une certaine image de la littérature brésilienne qu'elle a contribué à changer en profondeur.

Une aventure de l'écriture

Née à Tchetchelnik (Ukraine) en 1925, Clarice Lispector a deux mois quand ses parents émigrent au Brésil, d'abord à Recife, puis à Rio de Janeiro. Journaliste, elle publie son premier livre Près du cœur sauvage en 1944, à dix-neuf ans. Mariée à un diplomate, elle vit un temps en Europe et aux États-Unis avant de retourner à Rio où elle meurt, en 1977.

La publication de Près du cœur sauvage (le titre est emprunté à une citation du Portrait de l'artiste en jeune homme de James Joyce) marque une véritable césure dans la littérature brésilienne, essentiellement dominée jusqu'alors par une veine sociale et néo-naturaliste. Ce livre inaugure en effet une lignée introspective, autoréflexive et attentive à l'écriture plus qu'au thème, aux variations intimistes plus qu'à la narration, dans « une relation perturbée, perturbante et perturbatrice au réel ». Le Lustre (1946), La Ville assiégée (1949) inscrivent cependant l'œuvre de Clarice Lispector entre enracinement ou nostalgie rurale et affrontement avec la ville et la modernité. Ses nouvelles (Liens de famille, 1960 ; Corps séparés, 1964 ; Où étais-tu pendant la nuit, 1974) se situent dans la lignée du « flux de conscience », avec les grands modèles que sont Virginia Woolf et Katherine Mansfield : émotion, sensibilité, ouverture au mystère indéchiffrable, à l'interrogation sans réponse, attentive à détecter les ondes secrètes du moi dans les interstices du silence, creusant jusqu'« au niveau microscopique où la causalité est minuscule et minutieuse ». Le Bâtisseur de ruines (1961) reprend ces thèmes récurrents : la faute, le mal, l'innocence, la culpabilité. Quant à La Passion selon G. H. (1964), il s'agit sans doute de l'un des romans les plus déconcertants de l'écrivain : on y assiste à la découverte d'une blatte dans la chambre de sa domestique et à son « incorporation » par la narratrice. Certains y ont vu une réécriture de Kafka ; d'autres y ont perçu l'expérience existentielle de la nausée, voire une signification mystique.

L'œuvre de Lispector va évoluer désormais vers des textes courts et fragmentaires, proches des chroniques qu'elle donne dans les journaux (La Découverte du monde). Agua viva (1973) veut « capter l'instant qui passe » ; L'Heure de l'étoile (1977) évoque la vie d'une jeune nordestine immigrée à Rio ; le personnage du Nordestin, comme celui du provincial (Un apprentissage ou le livre des plaisirs, 1969) reprend le thème de l'incommunicabilité et de l'altérité. Quant à la rencontre avec les animaux, elle renvoie à la quête d'identité, à la perplexité d'être, au vide et à la solitude. La relation n'existe ici qu'entre empathie et effroi, entre identification et différence irréductible ; ces animaux (chiens, vaches, singes, poules, cheval, lapins, buffle, mais aussi la blatte) si présents dans cette œuvre de Clarice Lispector, disent à la fois l'enracinement rural et l'étrangeté radicale : ils participent d'une vie antérieure à nous qui[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire de littérature comparée, université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Pierre RIVAS. LISPECTOR CLARICE (1925-1977) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BRÉSIL - La littérature

    • Écrit par Mario CARELLI, Ronny A. LAWTON, Michel RIAUDEL, Pierre RIVAS
    • 12 169 mots
    ...assassinada (Chronique de la maison assassinée, 1959). Cette sensibilité vit également éclore un écrivain inclassable et particulièrement attachant, Clarice Lispector (1925-1977). Ses textes troublants, faits d'une écriture de pure vibration, déroutent le lecteur, car l'auteur refuse toute intrigue...
  • PRÈS DU CŒUR SAUVAGE, Clarice Lispector - Fiche de lecture

    • Écrit par Rita OLIVIERI-GODET
    • 854 mots

    Près du cœur sauvage, premier roman de Clarice Lispector (1925-1977) qu'elle écrit à l'âge de dix-sept ans, est publié en 1944. Son style radicalement nouveau marque le passage de la littérature brésilienne à une littérature introspective de très grande densité psychologique, qui déplace la veine...

Voir aussi