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GOULD CHESTER (1900-1985)

Le dessinateur Chester Gould a vu le jour à Pawnie, Oklahoma, le 20 novembre 1900. C'est à Oklahoma City qu'il commence à réaliser des dessins pour la rubrique sportive de la revue The Tulsa tout en poursuivant des études de droit, car son père souhaite le voir faire une carrière d'avocat. En 1921, il part pour Chicago afin d'y achever ses études. Cette ville jouera un rôle décisif dans les choix qui orienteront son activité de dessinateur. Il y rencontrera, en effet, le capitaine Patterson, un entrepreneur de presse, dont l'appui lui permet d'entrer à l'American Journal du groupe Hearst, puis au Daily News. À cette époque, ses dessins s'apparentent, par le style et l'inspiration, aux séries humoristiques alors très prisées et, parmi celles-ci, à Mutt and Jeff, de Harry Conway Fischer.

Le régime de la prohibition et ses violences vont agir comme un déclic sur son talent de narrateur. Le gangstérisme avait fait de Chicago la capitale mondiale du crime. Le cinéma, avec Les Nuits de Chicago de Sternberg, Scarface d'Howard Hawks, avait pris acte de cette situation et transformé l'opposition de la police et des gangsters en un mythe urbain, comme l'opposition des Indiens et des pionniers avait permis la naissance du western. Le génie de Chester Gould consista à se saisir de cette actualité brûlante pour lancer son personnage de policier incorruptible : Dick Tracy. Il a ainsi créé la première bande dessinée violente d'inspiration contemporaine. Corruption et compromission entachaient profondément la police et la magistrature, chargées de lutter contre le banditisme. Chester Gould oppose à une réalité trouble un personnage « idéal » conforme aux souhaits de lecteurs qui veulent être protégés. Il se heurtera pourtant à bien des réticences dues à l'utilisation, toute nouvelle dans la bande dessinée, de la violence comme moteur de la narration.

La première aventure, datée du 4 octobre 1931, paraît dans le Chicago Tribune. Si l'histoire, de la valeur d'une page, est rondement menée, le graphisme, lui, est maladroit : Chester Gould a abandonné ses modèles ; il doit maintenant se créer un style. L'histoire se résume à une trouvaille : la police recherche un gangster qui, sur le point d'être arrêté, s'est mystérieusement volatilisé. Le héros, Dick Tracy, se rend dans un commissariat où il remarque, derrière les barreaux, une femme. Il la provoque en l'agressant et suscite de sa part une esquive digne d'un boxeur professionnel : le bandit avait mis des vêtements de femme pour échapper à ses poursuivants ! À deux reprises, en 1937 et en 1957, des situations semblables seront de nouveau utilisées : d'abord dans une intrigue où un fils de famille, ruiné, pour se racheter de ses « faiblesses », se transforme à la demande de Dick Tracy en petite amie d'un gangster pour mieux piéger ce dernier ; puis dans une poursuite au cours de laquelle un trafiquant de manteaux de fourrure utilise le même stratagème pour éviter d'être identifié. Face au monde sans ombre et sans femme qu'est la police selon Chester Gould, le milieu adverse est nécessairement celui de l'équivoque, et, symboliquement, celui où la frontière entre masculinité et féminité tend à s'estomper.

L'image de Dick Tracy prendra avec le temps une vigueur, une précision qui feront malheureusement défaut à nombre d'autres protagonistes de ses histoires : profil net au nez en bec d'aigle, surmonté d'un chapeau sur le ruban duquel joue en permanence un reflet vertical qui accentue le caractère volontaire du personnage. Tel qu'il apparaît dans des récits de plus en plus longs et qui s'enchaînent souvent les uns aux autres, Dick Tracy semble traverser les épisodes du tranchant de son profil. Sa seule « faiblesse » — c'est-à-dire le seul élément qui le rend humain à nos[...]

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Pour citer cet article

Marc THIVOLET. GOULD CHESTER (1900-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BANDE DESSINÉE

    • Écrit par Dominique PETITFAUX
    • 22 913 mots
    • 15 médias
    ...contrairement aux bandes européennes, les femmes – généralement belles et aventureuses – y jouent un rôle important, et créent parfois un climat érotique. Les séries les plus marquantes sont Dick Tracy (1931), par Chester Gould (1900-1985), aux intrigues policières proches des romans noirs, Flash Gordon...

Voir aussi