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CANADA (R. Ford) Fiche de lecture

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Un roman d’initiation

Le franchissement de la frontière, phénomène éminemment nord-américain dans une nation qui compte quarante-huit États limitrophes bien différents et deux grands pays voisins, marque une césure profonde à l’intérieur du récit. Le passage au Canada appartient à ces moments intenses du frisson, de la « commotion » dit Ford, et le retentissement de cette émotion forte donne son élan à l’ouverture de la seconde partie du roman. « Ma métaphore centrale est toujours le franchissement d’une frontière, l’adaptation, le passage progressif d’un mode de vie à un autre… Il s’agit parfois aussi d’une frontière qui, franchie, ne se repasse pas. » C’est ainsi que Mildred, une amie de sa mère, sauve Dell de l’orphelinat en le conduisant clandestinement chez Arthur Remlinger, son frère, seigneur barbare et hors-la-loi dans la Saskatchewan, une province du Canada où Florence La Blanc va veiller de loin sur l’adolescent. Des femmes fortes, indépendantes, réfléchies, comme toujours chez Ford, et qui lui permettent de franchir un seuil. Avec le temps, Dell va faire « la part des choses parmi les bons conseils reçus: pratiquer la générosité, savoir durer, savoir accepter, se défausser, laisser le monde venir à soi – de tout ce bois, le feu d’une vie ».

Pourquoi le Canada ? Parce que, selon Ford, c’est le pays civilisé de la consolation et de l’apaisement, exempt de la fureur et de la folie des États-Unis, et que le but ultime de chacun est de trouver sa place dans un univers de tolérance et de beauté. Aux grands ébranlements répond l’ampleur des paysages tandis que, solitaire, Dell Parsons mène une réflexion en creux sur le bien et le mal, sans cynisme, affrontant des carnages de bêtes et de gens pour finir par s’épanouir et s’établir. Car, dans Canada, roman écrit au passé, l’écrivain reprend un de ses thèmes majeurs : celui de l’abri, du refuge, déjà fortement présent dans Unweek-enddansleMichigan (1986), premier volet de la trilogie dont le personnage principal, Frank Bascombe, est un agent immobilier qui passe sa vie à proposer des demeures où l’on rêve de gîter en paix. Il reprend aussi l’âge crucial de seize ans, celui de Joe dans Unesaisonardente (1990), et le sien lorsqu’il perdit son père. Enfin, un troisième fil, lui aussi récurent dans l’œuvre, sous-tend  Canada: celui de la seconde chance. C’est ainsi que, cinquante ans plus tard, dans la sobre intensité des retrouvailles entre les jumeaux, la famille semble se recomposer : Berner a pris le prénom de leur père, Bev, et, au moment de mourir, elle remet à Dell, dernier de la lignée, les feuillets de la chronique que tint leur mère.

Pour Richard Ford, qui écrit chronologiquement, tout l’enjeu réside dans « la juste mesure des choses », c’est-à-dire dans la composition, cet art d’agencer des éléments disparates, épars dans le désordre d’une cassure et d’une vie blessée. Pari réussi avec Canada, à la fois chronique familiale, aria et thriller, roman d’apprentissage où la liberté se conquiert à partir d’un désastre, où la fragilité humaine fait face à la splendeur du Nord.

— Liliane KERJAN

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Liliane KERJAN. CANADA (R. Ford) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 22/11/2013

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Richard Ford - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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