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AUGUST SANDER. PERSÉCUTÉS / PERSÉCUTEURS, DES HOMMES DU XXe SIÈCLE (exposition)

Face à face

Les cent vingt épreuves exposées montrent que, malgré l’interdiction et les menaces, August Sander poursuivit son activité de portraitiste. Si une des salles fait le rappel en grands formats de quelques photographies connues, comme les trois Jeunes Fermiers du Westerwald photographiés en 1914, le Manœuvre aux briques (1929), le Maître pâtissier à ses fourneaux (1928) ou l’élégant Étudiant d’école de grammaire (1926), les nombreux tirages contacts exposés en séries conformes aux chapitres envisagés pour Hommes du xxe siècle confirment l’intention d’August Sander d’intégrer après la guerre les portraits des années sombres : les portfolios des sixième et septième groupes, consacrés aux persécutés, aux travailleurs étrangers, aux malades, aux fous ou aux mourants, rassemblent tous ceux que l’origine, le régime ou la malchance avaient écartés du peuple allemand.

Semblables aux représentations traditionnelles de particuliers, exécutés dans les règles de l’art, sur fond uni et en expression neutre, ces petits formats, parfois légendés du nom de la personne, évoquent, malgré leur annotation lacunaire, l’obligation faite aux Juifs de renouveler leurs pièces d’identité dans une forme imposée et discriminante. Sous une vitrine, une pochette kraft témoigne de la recherche que, longtemps après le décès d’August Sander en 1964, Gunther, son fils cadet, a continué de mener à travers l’Europe pour tenter d’identifier les commanditaires des photographies non réclamées.

Si écrasants qu’ils pouvaient changer la vie d’un pays et le destin d’une famille, le poids et la terreur du nouvel État totalitaire se font sentir dans l’espace circulaire de l’exposition, où les grands tirages des portraits de nazis en uniformes venus poser au no 201 de la Dürenstraße, réputé meilleur studio de la ville, font face aux visages des prisonniers politiques photographiés par le détenu Erich Sander, fils aîné du photographe et photographe lui-même. Arrêté en 1934 pour ses activités au sein du SAP, le parti socialiste ouvrier d’Allemagne, il sera condamné l’année suivante à dix ans de prison pour haute trahison.

Le père censuré, le fils emprisonné, les Sander devront à leur métier de photographes de supporter les effets de la séparation. L’administration de la prison de Siegburg recourt au professionnalisme d’Erich en le laissant réaliser les portraits des autres prisonniers selon les canons esthétiques du studio, sans la contrainte face-profil du fichage, et les permissions de visite permettent à August Sander de photographier son fils au travail dans sa cellule-laboratoire. La présentation, en fac-similé et en transcription trilingue, de lettres censurées ou illégalement acheminées, met en lumière la clairvoyance du prisonnier sur son destin et sur celui de ses codétenus politiques, le soutien affectif de ses parents et les conseils techniques d’Anna Sander, brillante chimiste, soucieuse d’aider son fils dans la bonne exécution de son travail. La photographie du masque mortuaire d’Erich, décédé en prison le 23 mars 1944 d’une crise d’appendicite aiguë, scelle la fin des prises de vue d’August Sander pour Hommes du xxe siècle.

— Hervé LE GOFF

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Hervé LE GOFF. AUGUST SANDER. PERSÉCUTÉS / PERSÉCUTEURS, DES HOMMES DU XXe SIÈCLE (exposition) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 04/10/2018