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ARCHITECTURE MILITAIRE (Grèce antique)

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Les ouvrages de défense – remparts, fortins, tours de guet –, dont les vestiges imposants scandent aujourd'hui la solitude des paysages grecs, sont l'autre face, longtemps occultée, d'une architecture dont on n’a longtemps voulu voir que les édifices sacrés. Ces constructions militaires, importantes et nombreuses à toutes les phases de la civilisation grecque, sont au contraire le témoin éloquent d'une histoire dominée par la guerre, à cause du morcellement politique favorisé par la géographie : chaque plaine cultivable, chaque île s’est constituée en entité distincte, et les solidarités ethnique, linguistique et religieuse n'ont que rarement contrebalancé une volonté tenace d'indépendance politique.

Les enceintes en pierres sèches de Dimini et Sesklo (vers 4000 av. J.-C.), la fortification à tours de Chalandriani de Syros (vers 2500 av. J.-C.) et l'enceinte de Dorion-Malthi (vers 1600 av. J.-C.) sont des réalisations primitives, tant par leur ampleur que par leur technique, en regard des travaux de défense mycéniens (1400-1200 av. J.-C.). Bien que le pouvoir politique ait été alors partagé entre des principautés de type féodal, les remparts ne semblent pas avoir été construits à l'occasion de guerres intestines, mais pour se prémunir contre un danger extérieur : un mur continu fut construit pour barrer l'isthme de Corinthe et des enceintes de refuge, souvent assez vastes (par exemple sur l'île de Gla, en Béotie : 3 kilomètres de circonférence englobant 20 hectares), furent aménagées à proximité des acropoles fortifiées. Surtout, ces murailles sont colossales, ce qui suppose une main-d'œuvre considérable : formées de blocs pesant souvent plusieurs tonnes, grossièrement équarris et entassés suivant l'appareil cyclopéen, elles ont 5 à 7 mètres d'épaisseur et au moins 9 à 10 mètres de hauteur. Cet extraordinaire déploiement défensif n'empêcha pas les citadelles mycéniennes d'être détruites, mais a laissé des vestiges si imposants que les Grecs des époques ultérieures les tenaient pour l'œuvre de géants ou de héros mythiques.

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Les remparts réapparaissent à la fin de l’époque géométrique : le plus ancien connu est celui de Smyrne (viiie-viie s. av. J.-C.) fait de briques crues sur un socle de pierre, sans tours, si ce n'est pour flanquer les rares portes. Ces murailles archaïques, très fragiles, n'ont laissé que peu de vestiges (Halieis-Porto Cheli) ; il faut attendre la fin du vie siècle pour trouver les premiers remparts de pierre (Thesos), ponctués, sans doute à l'imitation de l'Orient, de quelques tours carrées saillantes. À partir de ce moment, le progrès incessant des techniques et des tactiques de siège, qu’attestent le Manuel de poliorcétique d'Énée le Tacticien (vers 350 av. J.-C.) et les traités sur la poliorcétique et sur les catapultes de Philon de Byzance (vers 240 av. J.-C.), entraîne un renforcement de l’épaisseur et de la hauteur des courtines et une complexité croissante des plans. Les murs, parfois épais de 3 ou 4 mètres, sont constitués, entre deux parements appareillés, d’un remplissage (emplecton) de moellons moyés dans un ciment très dur, et les tours sont aménagés en plates-formes de tir, avec de larges baies pour balistes et catapultes, ou pourvues de minces meurtières pour les archers et les oxybèles (lance-flèches). L’articulation des portes, souvent avec avant-cour et tours de flanquement, donne lieu à des dipositifs complexes, où la volonté monumentale se combine aux soucis défensifs (portes à reliefs sculptés de Thasos, porte d’Arcadie à Messène, Grande porte de Sidé). Tandis qu’un espace d’au moins 5 mètres est laissé en arrière du rempart pour permettre les déplacements rapides d’hommes et de matériel, certaines enceintes présentent en plaine des terrassements avancés destinés à ralentir l’approche de l’ennemi : un fossé plus ou moins large et profond est surplombé par une levée de terre courant au pied du rempart.

À l'exception de Sparte, qui n'en eut que très tard (195 av. J.-C.), pour des raisons idéologiques, toutes les cités grecques eurent leurs remparts. Mais il y a loin des petites enceintes rustiques, à l’appareil souvent incertain, aux remparts des grandes cités, où les parements sont rythmés par des assises de hauteur ou de pierre différente et animés par le bossage, où les angles sont soulignés par des feuillures. Le tracé de ces grands remparts excède souvent de beaucoup la zone urbaine pour épouser des lignes de terrain favorables, englober un point d'eau ou une aire de refuge pour la population rurale : Syracuse, avec un périmètre fortifié de 27 kilomètres et 1 500 hectares de terrain non urbanisé, et Athènes, avec les « Longs Murs » qui la relient au Pirée – fortifié même du côté de la mer – en sont des cas extrêmes.

Outre le réduit défensif que constituent les remparts de la ville, les cités grecques ont très souvent implanté des tours ou des fortins sur les confins de leur territoire : simples tours de guet, comme dans les îles, pour prévenir les incursions des pirates ; forts gardés par une petite garnison permanente et munis d'une enceinte de refuge pour la population rurale d'alentour ; parfois même véritables places fortes, comme Éleuthères et Aegosthènes aux confins de l’Attique et de la Béotie, qui constituaient autant de points de fixation pour les envahisseurs éventuels.

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Quelques sièges sont restés célèbres : celui de Rhodes, infructueux, par Démétrios Poliorcète (305-304), et celui de Syracuse par les Romains (215-212), qui finirent par s'en emparer malgré les machines extraordinaires qu'Archimède avait inventées pour les repousser. La conquête romaine et la longue période de paix qui s’en suivit amenèrent le déclin de l'architecture militaire : sous le Haut-Empire, les ouvrages anciens ne furent même plus entretenus, en sorte que les cités grecques furent prises au dépourvu par les premières invasions barbares (incursion des Hérules à Athènes en 267 apr. J.-C.).

Toutes ces fortifications, qui sont la griffe de l'histoire sur le paysage grec, festonnant les collines de leurs lignes austères, n'ont pas seulement une valeur fonctionnelle et documentaire : le sens de la pierre qu'avaient les Grecs s'y manifeste autant que dans l'architecture religieuse, quoique différemment. L'art d'animer les parements par stries, bossages et piquetages ; de souligner les angles par des feuillures ; de rythmer courtines et tours par des assises de hauteur ou de pierre différente ou par de discrètes moulures donne à ces ouvrages une qualité esthétique dépouillée à laquelle l'époque contemporaine est plus sensible que le xixe siècle, qui parlait encore le langage des ordres de l'architecture religieuse.

— Bernard HOLTZMANN

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Écrit par

  • : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre

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