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ANTHROPOLOGIE DES ZOONOSES

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Régimes de causalité et d’imputation

Ces deux conceptions des zoonoses – comme événement accidentel dans un cycle écologique ou comme mutation catastrophique dans une série de révolutions – entrent en tension dans les pratiques de gestion des zoonoses sur les différents terrains où elles sont traitées comme des problèmes publics. Alors que l’écologie des maladies infectieuses met en avant des causalités circulaires entre plusieurs espèces animales, l’imaginaire de l’émergence pandémique repose sur un modèle linéaire de contact entre une espèce réservoir et un patient zéro. Dans le cas de la peste, les recherches écologiques ont montré les interactions entre les hôtes « sylvatiques » de la maladie comme les rats et leurs puces et l’homme (par exemple, dans les cas de peste en Amérique du Nord), alors que le cadre de l’émergence de la maladie ressuscite des modes de raisonnement qui accusent les rats de la transmission en décrivant leurs conditions de vie (cas de la peste des chiffonniers à Paris en 1920). La désignation des chauves-souris comme réservoirs d’un grand nombre de zoonoses – rage, Ebola, SRAS, Nipa, Hendra… – tient à leur capacité à échanger des virus entre espèces dans des habitats denses, mais leur rôle dans la transmission des zoonoses n’est pas toujours attesté, par exemple dans le cas du coronavirus de MERS (Middle East respiratorysyndrome), transmis par les dromadaires dans la péninsule arabique. À l’exception du virus Nipah, les chauves-souris ne transmettent en effet pas directement les pathogènes aux humains mais à travers des espèces intermédiaires – porcs, chevaux, dromadaires, civettes, pangolins… – qui ont d’une manière ou d’une autre été en contact avec elles. Ces chaînes de transmission complexes échappent au modèle simple de la zoonose comme amplification d’une mutation dans une population réservoir.

Chasse aux marmottes sibériennes - crédits : Jeanne Menjoulet/ Flickr.fr ; CC BY-ND 2.0

Chasse aux marmottes sibériennes

Si certaines espèces animales sont désignées comme causes d’émergences potentiellement pandémiques, les comportements humains peuvent le plus souvent être considérés comme responsables des émergences en question. Le concept de « culture », par lequel l’anthropologie décrit des croyances et des pratiques qui conservent l’ordre social, décrit bien souvent une « intimité menaçante » avec les animaux, que ce soit dans les marchés du sud de la Chine ou dans la chasse de viande de brousse en Afrique. L’anthropologie peut alors étudier ces pratiques culturelles pour déterminer en quoi elles sont aménageables pour limiter la transmission de zoonoses. Elle peut aussi étudier et critiquer les raisonnements et les préjugés de race et de classe qui imputent les zoonoses à certains groupes sociaux, décrits comme plus proches des animaux dans les campagnes. Ainsi, au Vietnam, ceux qui volent des poulets menacés d’abattage pour les réserver à leur consommation sont qualifiés de singes gourmands et ignorants. À l’inverse, certains éléments de la culture peuvent être lus comme préfigurant des conceptions hygiéniques des maladies : ainsi, des poèmes chinois ou des mythes mongols sont décrits par les médecins occidentaux comme porteurs d’un savoir implicite de la transmission de la peste par les rats ou les marmottes. Les récits culturels peuvent aussi être considérés comme des ressources pour l’action sanitaire lorsqu’ils font des animaux des porteurs de signes ou des sentinelles des zoonoses, alliés aux humains dans la guerre contre les pathogènes – l’imaginaire du « chasseur de virus » prolongeant dans la modernité des techniques visant à prendre le point de vue de l’animal chassé.

Les régimes d’imputation anthropologique redoublent donc les régimes de causalité écologique, mais d’une façon qui conduit parfois à renverser cette causalité. L’événement zoonotique n’est pas seulement une catastrophe qu’il faut anticiper pour en limiter les effets[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale
  • : anthropologue, université de St Andrews, Écosse (Royaume-uni)

Classification

Pour citer cet article

Frédéric KECK et Christos LYNTERIS. ANTHROPOLOGIE DES ZOONOSES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 07/12/2020

Médias

Marché aux volailles à Tai Po, Hong Kong - crédits : Frédéric Keck

Marché aux volailles à Tai Po, Hong Kong

Chasseurs de rats dans le port de Liverpool - crédits : Wellcome Collection ; CC BY 4.0

Chasseurs de rats dans le port de Liverpool

Avertissement aux visiteurs d'un parc national congolais - crédits : Pete Oxford/ Minden Pictures/ Biosphoto

Avertissement aux visiteurs d'un parc national congolais