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CAMILLERI ANDREA (1925-2019)

La saga Montalbano

Le deuxième registre est celui du roman policier, centré autour du personnage du commissaire Montalbano, ce Maigret sicilien qui se distingue de son modèle du quai des Orfèvres par le goût d'une cuisine plus épurée (les fameux rougets de roche) en contraste avec les arrière-cuisines peu ragoûtantes du pouvoir qu'il est obligé de traverser. Le premier roman de cette série, La Forme de l’eau, est publié en 1994. Il sera suivi très régulièrement de nouvelles enquêtes jusqu’en 2019, avec Il Cuocodell’Alcyon.

Confronté à des énigmes sanglantes qui en cachent souvent d'autres (comme dans Il Cane di terracotta, 1996, Le Chien de faïence, 1998), Montalbano – patronyme très répandu en Sicile, mais choisi en hommage à l'écrivain espagnol Manuel Vásquez Montalbán – s'attelle à leur résolution en fonction de son humeur (laquelle dépend largement du temps qu'il fait : le commissaire est « météoropathe »), avec un respect très relatif de la procédure et un sens très méridional des horaires. Pour provoquer les traditionnelles illuminations qui surgissent dans l'esprit de cet enquêteur fin lettré, la littérature joue un rôle souvent prépondérant : ainsi, dans L'Odore dellanotte, 2001 (L’Odeur de la nuit, 2003), c'est même en revivant une nouvelle de Faulkner qu'il parviendra au fin mot de l'histoire. Soumis aux pressions venues de Montelusa, où se trouvent d'obtuses autorités, Montalbano peut compter sur les hommes du commissariat de Vigàta : l'inénarrable Catarella qui parle un « talien » estropié, Augello, adjoint du commissaire en rivalité avec lui, Fazio le vieux flic complice ; et aussi sur divers habitants de Vigàta qui lui sont tout dévoués : Ingrid la fantasmatique Suédoise avec laquelle Montalbano entretient des rapports héroïquement chastes (par fidélité à son éternelle fiancée, Livia la Gênoise), la dame en chaise à roulettes, le vieux proviseur, le petit truand... De livre en livre, le lecteur se retrouve ainsi en famille, complice de ces braves gens associés pour résister aux nauséabondes menées des puissants : politiciens, affairistes, mafieux et autres mâles odieux (à sa manière toute méditerranéenne, Montalbano est un féministe).

Outre la saveur d'une de ces langues régionales pour lesquelles les Italiens se reprennent d'amour, l'immense succès populaire de Montalbano tient donc aussi à un troisième élément : le regard qu'il porte sur son époque, d'une ironie méprisante pour les puissants et d'une grande tendresse pour les petites gens. À travers les romans et les recueils de nouvelles qui composent la saga, on voit vieillir Montalbano, de plus en plus effaré par les formes de malfaisance que l'homme invente sans cesse. On entend aussi résister une petite musique, celle d'une Sicile qui n'a jamais confondu le légitime et le légal, très ancienne et très moderne civilisation qui trouve les mots pour nous parler à tous. Une Sicile universelle.

Andrea Camilleri meurt à Rome le 17 juillet 2019.

— Serge QUADRUPPANI

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Pour citer cet article

Serge QUADRUPPANI. CAMILLERI ANDREA (1925-2019) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Andrea Camilleri - crédits : Antonelli/ AGF/ Bridgeman Images

Andrea Camilleri

Autres références

  • POLICIER ROMAN

    • Écrit par Claude MESPLÈDE, Jean TULARD
    • 16 394 mots
    • 14 médias
    ...le roman Le Contexte (1971) a inspiré le film Cadavres exquis (1975) de Francesco Rosi. Un des vieux amis de Sciascia, tard venu à l'écriture, Andrea Camilleri, a su séduire le public européen avec son commissaire Montalbano qui évolue en Sicile, région natale de son créateur. Aujourd'hui, l'Italie...

Voir aussi