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KECHICHE ABDELLATIF (1960- )

Né le 7 décembre 1960 à Tunis, Abdellatif Kechiche arrive tout enfant avec ses parents à Nice. Adolescent, il fréquente beaucoup les salles de cinéma et la cinémathèque de la ville puis, à la fin de la décennie, cherche à écrire. Mais ne parvenant pas à placer ses premiers récits, il suit les cours de la classe d'art dramatique du conservatoire de Nice et se trouve assez vite engagé au théâtre. Au cinéma, son rôle dans Le Thé à la menthe (Abdelkrim Bahloul, 1984) est déterminant car il lui permet de prendre conscience en cours de tournage que son désir d'écriture est en fait une volonté d'expression cinématographique : il veut être auteur-réalisateur. Après Les Innocents (André Téchiné, 1987) et Un vampire au paradis (A. Bahloul, 1991), Bezness (Nouri Bouzid, 1992) sera son dernier emploi de comédien. Mais les années 1990 seront très dures, plusieurs scénarios lui étant refusés lorsqu'ils sont présentés à l'avance sur recette. Enfin, il obtient l'aide à l'écriture du Centre national de la cinématographie pour La Faute à Voltaire. L'avance suivra et son premier film obtient le lion d'or de la première œuvre au festival de Venise de 2000. Kechiche y dénonce l'utopie d'une société multiraciale au pays des droits de l'homme en suivant les pérégrinations de Jallel depuis ses débuts encourageants, ses émerveillements, jusqu'à sa dégringolade qui le conduit de trahisons en foyers de SDF et en services psychiatriques, jusqu'à l'expulsion finale.

Le film connaît un honnête succès critique et public. Mais la double consécration viendra des césars obtenus en 2005 pour L'Esquive et en 2008 pour La Graine et le mulet, couronnés exactement des quatre mêmes prix : meilleur film, réalisateur, scénario et espoir féminin (Sara Forestier, Hafsia Herzi). Rien de vraiment comparable à La Faute à Voltaire : le premier long-métrage est un bon scénario bien filmé, alors que les suivants sont de magnifiques idées de cinéma portées par de formidables comédiens-personnages saisis dans un réalisme stylistique extrêmement personnel. L'Esquive montre la vie d'un petit groupe de collégiens d'une cité pluriethnique auxquels leur professeur de lettres fait interpréter Les Jeux de l'amour et du hasard de Marivaux. Avec ses auteurs non professionnels d'une vérité confondante, le film joue beaucoup sur la « tchatche » des banlieues, en alternance avec le parler raffiné de la pièce. En outre, le scénario croise assez habilement le sens de l'œuvre théâtrale pour suggérer qu'il peut s'appliquer au réel que vivent les jeunes. Chez Marivaux en effet, valets et maîtres échangent leurs rôles sans parvenir pour autant à supprimer la marque de leur classe originelle. C'est pourquoi le déguisement, qui avive les passions des élèves mais ne saurait transformer les esprits, ne réussira pas davantage à Krimo qui « rachète » son rôle à l'interprète d'Arlequin pour essayer de séduire Lydia. Dans la pièce, la jolie coquette esquive le baiser en s'« éventaillant » avec fougue, mais l'esquive est également au cœur de la cité où se pratique le grand écart entre deux cultures, enfance et maturité, usages et sentiments, autour de la blonde Lydia arborant une somptueuse robe de xviiie siècle qu'elle ne quittera plus ni à l'école ni à l'extérieur, comme pour se créer un personnage hors norme qui irradie à la fois son quotidien et tout le film.

<em>La Graine et le mulet</em>, Abdellatif Kechiche - crédits : Pathe Renn Productions/ The Kobal Collection/ Aurimages

La Graine et le mulet, Abdellatif Kechiche

La Graine et le mulet désigne très matériellement dans le film de Kechiche la semoule et le poisson, ingrédients principaux du couscous. Mais ce titre recouvre subtilement les plus riches métaphores et notamment le rêve poursuivi par le père d'ouvrir un restaurant flottant dans le port de Sète où les vieux Maghrébins de l'hôtel d'Orient remplacent les[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

Classification

Pour citer cet article

René PRÉDAL. KECHICHE ABDELLATIF (1960- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>La Graine et le mulet</em>, Abdellatif Kechiche - crédits : Pathe Renn Productions/ The Kobal Collection/ Aurimages

La Graine et le mulet, Abdellatif Kechiche

Autres références

  • LA VIE D'ADÈLE (A. Kechiche)

    • Écrit par René MARX
    • 1 091 mots
    • 1 média

    La palme d'or du festival de Cannes 2013 est une palme d'or particulière. Le président du jury, Steven Spielberg, l'a remise en annonçant qu'elle était attribuée non au seul metteur en scène, mais à « Adèle, Léa et Abdellatif Kechiche ». Les suites de ce triomphe cannois, salué par les applaudissements...

  • FRANCE (Arts et culture) - Le cinéma

    • Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS, René PRÉDAL
    • 11 105 mots
    • 7 médias
    ...banlieue (L’Esquive, 2005) et, mêlant réalisme et lyrisme, comédie et drame, de la communauté maghrébine de Sète (La Graine etle mulet, 2008), Abdellatif Kechiche triomphe avec l’histoire d’une passion destructrice (La Vie d’Adèle, 2013), révélant chaque fois de superbes actrices : Sara...

Voir aussi