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UN PORTRAIT DE FEMME, Henry James Fiche de lecture

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Un roman de l'intériorité

Il faut la présence rafraîchissante de Henrietta Stackpole, une journaliste américaine qui se veut féministe, pour apporter une note d'humour à ce Portrait de femme. Osmond, en dandy réactionnaire et mesquin, constitue à lui seul une étude de perversité moderne : « Osmond mettait d'ailleurs une coquetterie à paraître prodigieusement impassible. Et sa mine actuelle n'était pas un symptôme de désappointement. À son habitude, il se montrait inexpressif en proportion directe de sa cupidité réelle. » Si Mme Merle est moins corrompue, son pragmatisme ne s'embarrasse pas de scrupules. Isabel, en dépit de ses qualités d'âme, fait le mauvais choix parce qu'elle s'obstine à vivre dans le jardin romantique de son imagination (le roman débute et finit dans le jardin de Gardencourt). En quête d'appréciation désintéressée, elle se trouve prise au piège de l'appropriation calculatrice. En sortira-t-elle ? Les dernières paroles de Ralph le laissent penser : « Je ne puis croire qu'une faute aussi généreuse que la vôtre puisse longtemps vous faire du mal. »

Un portrait de femme marque un tournant dans l'esthétique de James. Celle-ci repose désormais sur l'emploi de « personnages-réflecteurs ». Grâce à l'accumulation de scènes prises sur le vif et surtout aux commentaires des personnages, le tissu textuel devient moins discursif que narratif. La situation initiale revêt davantage d'importance, et son interprétation est soumise à tout un éventail de points de vue. Tandis que la réalité objective se réduit à un prétexte, l'exploration de l'âme de la protagoniste fait émerger les constantes de la sensibilité puritaine : l'obsession du mal et la contemplation morbide de l'innocence menacée. L'esprit épique qu'Isabel met à conquérir l'Europe devient dramatique dans la seconde partie, lorsque le Vieux Continent se révèle un enfer.

La narration repose principalement sur une vision particulière, qui fait de la perception de l'individu dans son contexte social le sujet même du roman. Saisie à des moments successifs, l'intériorité des personnages se trouve alors « mise en scène » comme extériorité. Sans sonder les profondeurs de la conscience où telle décision va s'enraciner, James multiplie les indications révélatrices de ces instants de perception fugitive jusqu'à ce que le changement apparaisse sans que le narrateur ait besoin d'en proposer une analyse. L'écriture est nourrie de non-dits, de conversations feutrées et allusives ; elle s'étale en phrases surchargées d'incises et qui se ramifient comme des motifs végétaux. Cette prose souple et tortueuse crée les effets les plus directs car elle exhibe les situations ou les événements. Elle sert également les implications lyriques, humoristiques et parfois mélodramatiques de l'action. En inventant une technique narrative aussi subtile, Henry James annonce le roman moderne.

— Michel FABRE

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Michel FABRE. UN PORTRAIT DE FEMME, Henry James - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Henry James - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Henry James

Autres références

  • JAMES HENRY (1843-1916)

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    • 2 121 mots
    • 2 médias
    ...exemple. Il exige une technique romanesque particulière, puisque les êtres sont baignés dans une lumière différente suivant ceux qui les contemplent. Portrait de femme (Portrait of a Lady, 1881) est le premier grand roman de James où cette technique des points de vue est utilisée avec autant de perfection....