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OE KENZABURŌ (1935-2023)

Ōe Kenzaburō - crédits : Cui Hao/ VCG/ Getty Images

Ōe Kenzaburō

Assumant s’exprimer depuis et au nom des marges délaissées du Japon, mais épousant des valeurs et un patrimoine culturel qu’il estimait communs à toute l’humanité, l’écrivain Ōe Kenzaburō a incarné, à travers son œuvre et sa vie, toute l’histoire de son pays depuis la Seconde Guerre mondiale, avec sa part d’ombre et ses ambiguïtés. S’attachant constamment à lier expérience personnelle et devenir collectif, il a accompagné l’entrée de son pays dans un espace mondialisé qu’il s’est efforcé de comprendre et de partager, et a milité sa vie durant pour la nécessaire prise en compte de nos vulnérabilités.

Ōe Kenzaburō est né le 31 janvier 1935 dans un village reculé de l’île de Shikoku au Japon. Il grandit à l’apogée de la dérive autoritaire du Japon militariste et colonialiste, organisé autour de la figure impériale pour laquelle l’école le prépare à mourir au combat. Maltraité par ses enseignants et ses camarades, Ōe perd son père au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il assiste avec stupeur et soulagement à son dénouement à l’été de 1945, épousant alors les valeurs démocratiques et pacifistes autour desquelles le pays se reconstruit, tout en conservant par-devers lui le désir refoulé de mourir pour une grande cause, que l’on retrouvera sous des formes variées dans ses récits, au même titre que la nostalgie pour la nature, l’histoire et les légendes de sa terre natale. Il quitte l’île de Shikoku au début des années 1950 pour aller étudier à l’université de Tōkyō auprès de Watanabe Kazuo (1901-1975), spécialiste de Rabelais et de la Renaissance française.

Des contes cruels

Grand lecteur depuis son enfance, Ōe découvre à cette période les romanciers contemporains japonais, américains et français, notamment Jean-Paul Sartre auquel il consacrera son mémoire de fin d’études. C’est sous son influence, mais aussi celle de Pierre Gascar, qu’il commence, encore étudiant, son activité d’écrivain, avec des nouvelles qui lui vaudront très vite la reconnaissance de la critique et le succès populaire auprès des jeunes lecteurs japonais. Il partage en effet avec eux une sensation d’étouffement face à la posture conservatrice et révisionniste du pays au début de la guerre froide. Il exprime ce malaise dans des fables cruelles telles qu’Un curieux travail ou Le Fastedes morts (1957), dans lesquelles une autorité anonyme emploie des jeunes gens à des tâches absurdes (tuer des chiens, transborder des cadavres…). Ses jeunes héros évoluent initialement dans un univers verrouillé, sans illusions. Il s’attache alors à leur imaginer des échappatoires : sexualité débridée (mais malheureuse), mouvements de résistance ou de terrorisme au Japon, rêves d’exil à l’étranger pour combattre dans les guerres d’indépendance. Ces scénarios reposent toujours sur la même trame : un rapport de domination qu’il convient de retourner à son profit. Peu importe comment, il faut souffrir et surtout faire souffrir, se faire criminel pour s’autoréaliser (Homo sexualis, 1963), et si possible mourir avant que quelqu’un, ou la morne banalité des faits, ne vienne démonter la fiction (Notre Époque, 1959).

Très vite, Ōe fuit en imagination l’horizon borduré de la mégalopole pour retrouver la vallée de son enfance, dont il fera le cadre privilégié de récits dans lesquels il va explorer les sources du mal-être contemporain : la guerre et le legs que ses responsables imposent aux générations sacrifiées qui leur succéderont (Gibier délevage, prix Akutagawa 1958, ou son premier roman Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, paru la même année). La critique salue ces paraboles désespérées convoquant le passé récent, contées dans une écriture d’un lyrisme étincelant quand elle épouse le point de vue des enfants qui en sont les protagonistes. Mais Ōe veut éviter à tout prix[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en études japonaises, université de Strasbourg

Classification

Pour citer cet article

Antonin BECHLER. OE KENZABURŌ (1935-2023) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Jean-Jacques ORIGAS, Cécile SAKAI, René SIEFFERT
    • 20 234 mots
    • 2 médias
    ...donna publiquement la mort en novembre 1970, quelques jours après avoir achevé un vaste roman en quatre volumes, Hōjō no umi (La Mer de la fertilité). Ōe Kenzaburō (né en 1935) évoque en une prose éclatante et touffue les recherches et les phantasmes de l'adolescence (Seventeen, 1961 ; Man.en...

Voir aussi