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DUCHET MICHÈLE (1925-2001)

Le projet central de l'œuvre de Michèle Duchet s'est formé à une époque et en un lieu – l'Algérie, avant 1954 –, où sa carrière d'enseignante dans ses débuts l'avait conduite. Il s'est pleinement réalisé dans son ouvrage essentiel, paru, significativement, chez Maspero en 1971. Anthropologie et Histoire au siècle des Lumières reste le livre fondamental pour comprendre la naissance de l'idéologie coloniale moderne, au sein même de la „philosophie“ des Lumières, même si celle-ci pouvait aussi inspirer une opposition résolue à ses réalisations et à ses conséquences. Et ce n'est qu'autour de cette conjoncture déterminante, qu'on peut rappeler une carrière – l'École normale supérieure (Sèvres), l'agrégation, l'assistanat à la Sorbonne, le professorat à l'E.N.S. de Fontenay – qui n'a rien que de très classique. Dans cette carrière, Michèle Duchet se montra fidèle de l'intérieur aux mêmes impératifs moraux.

En 1995, dans la Postface de la réédition de l'ouvrage, Claude Blankaert a rappelé comment Michèle Duchet a étendu, approfondi, orienté à sa manière l'enquête sur l'histoire de la formation au xviiie siècle de ce qui allait devenir l'anthropologie, dont Claude Levi-Strauss avait donné Rousseau comme un initiateur capital. Contre toutes les facilités idéologiques, la première partie de ce livre éclairait les tenants et les aboutissants d'une idéologie coloniale à la fois plus „humaine“ et plus rentable, et l'implication de nombre des membres éminents du „camp philosophique“, sur la base d'un précieux dépouillement d'archives de l'ex-ministère des Colonies. En était issue une double entreprise : dépasser les perspectives triviales sur l'exotisme, la philanthropie et le cosmopolitisme des „philosophes“, et surtout interroger leur double lien avec l'entreprise civilisatrice et leur recherche orientée vers le regroupement possible des éléments d'une „science générale de l'homme“.

À partir de là, on pouvait repenser le couple sauvage-civilisé ; chercher les linéaments d'une science de l'homme à l'intérieur de systèmes de pensée qui avaient poussé assez loin leur exigence pour révéler les contradictions propres à cette tentative. L'analyse de la pensée de Buffon, autant que celle de Rousseau et de Helvétius, en est un témoignage, et fut accompagnée de la publication d'une précieuse réédition commentée de De l'homme. Mais c'est Diderot qui a joué, pour Michèle Duchet, un rôle majeur : le Diderot des articles „Animal“ et „Homme“, celui du Supplément au voyage de Bougainville ; et plus encore le Diderot ouvrier sinon maître d'œuvre d'une grande partie de l'Histoire des deux Indes, comme en témoigne son Diderot et l'écriture fragmentaire (1978), analyse et commentaire de la collaboration et des contributions successives de l'écrivain à l'ouvrage signé par Guillaume Raynal. Une réflexion qui trouvera son prolongement dans Le Partage des savoirs : discours historique, discours ethnologique (1985).

Qu'il s'agisse de collaborateurs ou de centres d'intérêt, Michèle Duchet était loin de se refermer sur un « cercle », mot favori, et ambivalent, de la société éclairée. Elle a su accorder au contraire une importance exceptionnelle aux entreprises collectives. Langues et langages de Leibniz à l'« Encyclopédie » (1976), issu d'un séminaire à l'E.N.S. de Fontenay, en témoigne, notamment. Était-ce l'inspiration de la société « invisible » des hommes des Lumières ? Celle qui, bien avant 1968, s'est manifestée très visiblement autour d'elle et souvent à son initiative, a comme fédéré beaucoup de ses proches en esprit : par des curiosités intellectuelles, mais aussi par des[...]

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Pour citer cet article

Georges BENREKASSA. DUCHET MICHÈLE (1925-2001) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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