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PERÓN JUAN DOMINGO (1896-1974)

Du long exil au retour à la présidence

Conspirations et putsch ratés aboutissent à un soulèvement suffisamment important de la marine et de certaines unités militaires pour que Perón préfère s'exiler sans combattre le 20 septembre 1955. Cette « libération » de l'Argentine prend vite l'allure d'une revanche de l'oligarchie sur les masses ouvrières désormais coupées du pouvoir, que celui-ci revête des formes démocratiques constitutionnelles, de 1958 à 1966, ou qu'il soit une dictature militaire, entre 1955 et 1958 et de 1966 à 1973. Dans un premier temps, Perón croit à la possibilité d'un contre-pusch qui le ramènerait rapidement au pouvoir ; il erre, en attendant, de dictature en dictature : le Paraguay de Stroessner, le Nicaragua de Somoza (après une escale à Panamá où il est séduit par une danseuse argentine de vingt-cinq ans, Isabel Martinez, qui devient sa secrétaire, puis sera sa femme en 1961 et, finalement la présidente du pays le 1er juillet 1974), le Venezuela de Pérez Jiménez de 1956 à 1958, la république Dominicaine de Trujillo et finalement le Madrid de Franco, où il s'installe en janvier 1960.

Désormais, Perón tisse sa toile avec prudence et patience, dessinant une ample stratégie de convergence nationale qui le verrait revenir au pouvoir, porté par la vague populaire et le chœur des formations politiques naguère les plus acharnées à sa perte. Remarquablement renseigné, habile à mettre de nombreux fers au feu et à user les hommes sans jamais rompre totalement, il fait de sa résidence madrilène le quartier général de la politique argentine. Mais cette stratégie à long terme, qui répond à l'ambition née sur ses vieux jours de passer à la postérité comme le sauveur de sa patrie, et non comme un dictateur chassé ou ramené au pouvoir au gré de putschs militaires, est mal comprise et mal admise des péronistes de la base. Aussi Perón effectue-t-il une tentative de retour en décembre 1964, que l'armée brésilienne interrompt à son escale à Rio.

En définitive, c'est l'armée elle-même qui engage des négociations avec lui en 1971. Après cinq ans de dictature militaire, la situation paraît telle qu'un mouvement de masse socialisant, qui remette en cause les structures économiques et sociales de l'Argentine capitaliste, n'est pas exclu. L'armée annule les procédures judiciaires pendantes contre Perón (outrages aux mœurs, extorsion de fonds, etc.), lui restitue la dépouille mortelle d'Evita (cachée depuis 1955), son passeport, son grade, ses droits à pension, et c'est finalement un citoyen presque comme les autres qui vient organiser, à Buenos Aires, en novembre 1972, au milieu d'une forêt d'uniformes, la campagne électorale pour le scrutin de mars 1973.

On connaît les résultats. Perón, qui est reparti dès décembre 1972, revient le 20 juin 1973 et atterrit à nouveau au milieu des uniformes pour éviter la fusillade au cours de laquelle s'entretuent ses partisans. Il réoriente à droite le nouveau régime, tout en maintenant un précaire équilibre, se fait élire président, le 23 septembre, avec sa femme Isabel à la vice-présidence. Déjà victime d'une attaque sévère en novembre 1973, il n'est plus que l'ombre de lui-même durant les premiers mois de 1974 et son décès est annoncé le 1er juillet 1974. Dès lors, le pays s'enfonce dans le chaos, tandis que la faction d'extrême droite de la constellation péroniste prend le pouvoir autour de la présidente. Le grand dessein de Perón a trop tardé à se réaliser pour que l'histoire ait retenu l'image de pacificateur qu'il voulait lui léguer.

— Romain GAIGNARD

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Écrit par

  • : maître assistant des facultés des lettres et sciences humaines, professeur à l'université nationale de Cuyo-Mendoza, Argentine
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Juan Perón, 1946 - crédits : Bettmann/ Getty Images

Juan Perón, 1946

Les époux Perón, 1951 - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

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