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JDANOVISME

Jdanov, secrétaire du comité central et membre du bureau politique du Parti communiste d'Union soviétique, plus spécialement chargé du domaine culturel, avait fixé, sous leur forme la plus extrême, un certain nombre de principes de la politique culturelle du Parti communiste pendant la période stalinienne. C'est l'ensemble de cette doctrine, dans l'après-guerre, qui a reçu le nom de jdanovisme. Le point de départ en est, lors d'un comité central de 1946, l'attaque contre Anna Akhmatova et Zochtchenko et les revues qui les publient ; d'autres résolutions et articles sur le théâtre, la critique littéraire et la musique en sont les jalons, chacun de ces textes étant le point de départ d'une campagne aussitôt amplifiée et menée jusqu'aux points les plus reculés du pays. Le parti étant le représentant du peuple, les dirigeants sont l'expression du parti : ainsi leurs exigences sont données comme étant celles du peuple. On exige de la littérature qu'elle joue un rôle éducatif, qu'elle exalte le travail des Soviétiques et leurs qualités morales, qu'elle éclaire leur avenir : elle doit servir le peuple, et donc son parti. Au nom de ces principes est favorisée une littérature de parade, où les meilleurs rivalisent avec les bons ; la société soviétique n'y connaît pas de conflits. L'histoire littéraire est conçue comme une marche vers le socialisme, où seuls ont droit de cité les écrivains « progressistes » (Dostoïevski n'est plus publié). Le rôle du parti et de l'État est de faire preuve de vigilance pour empêcher les écrivains qui ne respectent pas ces canons de pervertir le peuple et la jeunesse. Ainsi Zochtchenko est traité de voyou, de décadent, de maniaque sexuel en raison de son intérêt pour la psychanalyse ; et sa satire est alors regardée comme inspirée par la haine du peuple soviétique. Oubliant qu'au moment du siège de Leningrad Akhmatova avait célébré l'unité de la nation, on ne voit plus en elle qu'une poétesse de salon, étrangère à ce même peuple. Pratiquant l'amalgame, on les réunit dans la critique qu'on fait d'eux et dans les mesures qu'on prend à leur encontre : exclusion de l'Union des écrivains, interdiction de publier. Tout art ne répondant pas aux canons artistiques dits populaires est décadent : par exemple la musique de Prokofiev et de Chostakovitch ou la poésie de Pasternak.

L'U.R.S.S. étant le premier pays socialiste, et donc exemplaire, sa littérature est forcément la meilleure. Tout critique ou tout écrivain suspect de s'inspirer d'auteurs étrangers est accusé de « cosmopolitisme » et de trahison vis-à-vis de son peuple. Si ce thème apparaît dès 1946, il prend toute sa force en 1948, où l'on assiste à une véritable « chasse aux sorcières », à coloration antisémite (P. Markich, le plus célèbre des écrivains juifs russes, disparaît, parmi bien d'autres, en 1952). C'est la seconde grande vague de terrorisme, que la mort de Staline arrêtera en 1953.

Même si quelques œuvres de valeur ont pu paraître pendant cette période, elle reste la plus pauvre et la plus sombre de la vie culturelle soviétique. En 1956, après la dénonciation de ces « erreurs », ces écrivains et artistes sont réhabilités, et cette politique condamnée. Les canons esthétiques définis par Jdanov n'en laisseront pas moins des traces durables dans les pratiques de la vie littéraire et dans la politique culturelle officielle.

— Alexis BERELOWITCH

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Alexis BERELOWITCH. JDANOVISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AKHMATOVA ANNA (1889-1966)

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER
    • 2 546 mots
    ...publient volontiers. Aussi sera-t-elle la cible principale d'une campagne de redressement idéologique, entreprise en août 1946 à la suite d'un rapport de Jdanov devant le comité central du Parti communiste, suivi d'une résolution officielle. Le rapport de Jdanov voit dans l'œuvre de la poétesse la « poésie...
  • CHEBALINE VISSARION (1902-1963)

    • Écrit par Alain FÉRON
    • 1 287 mots

    Avec Khatchatourian, Kabalevski et Chostakovitch, Vissarion Chebaline appartient à la première génération de compositeurs formés entièrement sous le régime soviétique. Moins connu que ses contemporains, il a cependant joué un rôle de premier plan dans l'histoire musicale de l'U.R.S.S. et s'est affirmé...

  • CHOSTAKOVITCH DMITRI (1906-1975)

    • Écrit par André LISCHKE
    • 2 766 mots
    • 1 média
    ...musicaux. Alors que Chostakovitch semble définitivement rentré en grâce, après avoir reçu entre 1941 et 1946 plusieurs prix d’État pour ses œuvres, le manifeste « antiformaliste » d’Andreï Jdanov, commissaire du peuple à la Culture, lance en 1948 une nouvelle vague de dénigrement et de menaces contre...
  • GROSSMAN VASSILI SEMNOVITCH (1905-1964)

    • Écrit par Hélène MÉLAT
    • 1 632 mots
    ...à l'extermination des Juifs soviétiques par les nazis, est interdit de publication (il sera publié seulement en 1993). L'U.R.S.S. entre dans l'ère du jdanovisme, la culture est de nouveau sévèrement mise au pas après la relative liberté des années de guerre. Enfin, son roman Pour une juste cause...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi