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INCERTITUDE

La conception naïve d'une science productrice de certitudes absolues, avant même que de caractériser un certain triomphalisme typique du xixe siècle, avait été spirituellement moquée par Georg Christoph Lichtenberg : « Si je connais bien la généalogie de Dame Science, l'incertitude est sa sœur aînée. Est-ce donc là une chose si scandaleuse que de choisir la plus âgée des sœurs ? » Mais, indépendamment d'une discussion trop générale sur les (in)certitudes de la science, les sciences physiques ont fait un usage intense et spécifique du terme. La force de la physique, en effet, vient moins des certitudes qu'elle procure que de sa capacité à maîtriser les incertitudes qu'elle ne peut éliminer. Voilà pourquoi un mot a priori aussi étranger à une vision scientiste en vient à désigner une notion clé d'une science rigoureuse.

Les physiciens ont ainsi développé une méthode d'évaluation de la fiabilité de leurs résultats, qui demande d'abord une estimation de la précision des mesures expérimentales. Deux facteurs limitent cette précision : les possibilités propres à chaque appareil de mesure (un mètre de couturière ne permet pas de mesurer une longueur à mieux qu'un millimètre près), qui conduisent à une incertitude dite « systématique », et les fluctuations aléatoires dues à l'échantillonnage fini des mesures, qui produisent une incertitude dite « statistique ». C'est en tenant compte de ces deux aspects que les résultats numériques de toute expérience sont toujours donnés avec leur marge d'incertitude, ce qui permet d'en évaluer la fiabilité. Lorsque l'incertitude n'est pas explicitée, elle est censée porter sur le dernier chiffre significatif. Ainsi une longueur donnée comme valant 142 centimètres doit-elle être entendue « à 1 cm près » ; autrement dit, cette longueur est très probablement comprise entre 141,5 cm et 142,5 cm. Des méthodes de calcul plus ou moins sophistiquées (traditionnellement dénommées « calcul d'erreur ») permettent d'évaluer l'incertitude sur des grandeurs physiques calculées, à partir des incertitudes (supposées connues) sur les données de départ.

Mais c'est dans une autre acception que le terme d'incertitude a connu une célébrité scientifique ambiguë. On désigne encore souvent sous le nom de « principe d'incertitude » de Heisenberg l'un des aspects essentiels de la théorie quantique ; la terminologie a d'ailleurs hésité, et on a parlé pendant un temps d'indétermination plutôt que d'incertitude. Il s'agit de l'impossibilité pour la théorie quantique d'attribuer simultanément une valeur numérique précise à certains couples de grandeurs, comme la position et la vitesse d'un quanton. Semblant imposer une limitation intrinsèque à nos capacités de connaissance, cet état de choses, dès sa mise en évidence par Werner Heisenberg en 1925, a fait l'objet d'innombrables exploitations abusives. En fait, il ne s'agit pas d'incertitudes exprimant une quelconque méconnaissance, mais bien plutôt d'extensions numériques intrinsèques : une grandeur physique quantique est, en général, caractérisée non par une valeur numérique déterminée, mais par un spectre – c'est-à-dire par une gamme de valeurs numériques. Pour certains couples de grandeurs, par exemple la position et la vitesse d'un quanton, les largeurs de ces spectres sont corrélées et ne peuvent être simultanément réduites à zéro. C'est là le contenu propre de ce qu'il faudrait appeler plus sobrement les « inégalités de Heisenberg » – d'autant qu'il n'y a pas là un principe indépendant, mais une conséquence des postulats de base de la théorie quantique. On a longtemps interprété les inégalités de Heisenberg comme résultant de perturbations incontrôlables introduites dans[...]

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Pour citer cet article

Jean-Marc LÉVY-LEBLOND. INCERTITUDE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • RISQUE ET INCERTITUDE

    • Écrit par Christian GOLLIER
    • 1 782 mots

    On a longtemps cru que le risque échappait à toute logique. Au xviie siècle encore, le système du monde fonctionnait comme une horloge bien huilée, la foi ne laissant pas de place au hasard. La chance n'avait sa place que dans les jeux de hasard goûtés, précisément, par des mondains dont la foi...

  • ANTICIPATIONS, économie

    • Écrit par Christian de BOISSIEU
    • 6 072 mots
    • 4 médias
    ...situations qu'il convient de dissocier. Les anticipations certaines évoquent tout d'abord l'absence d'erreurs de prévision. Poser a priori une telle hypothèse, c'est méconnaître l'incertitude dans laquelle se trouvent placés les agents économiques. Dans un deuxième sens, les anticipations sont certaines...
  • CONTINGENCE

    • Écrit par Bertrand SAINT-SERNIN
    • 4 900 mots
    Un second usage restait ouvert au mot « contingence » dans l'expérience commune : désigner, notamment dans les décisions, les principales formes d'incertitude auxquelles l'agent est exposé. Entendue ainsi, la contingence dénote deux réalités tout à fait distinctes : soit l'incertitude...
  • COÛTS DE TRANSACTION

    • Écrit par Claude MÉNARD
    • 5 316 mots
    En ce qui concerne l'incertitude, qui peut être d'origine exogène, due aux états imprévisibles du monde, ou endogène, liée aux comportements stratégiques des partenaires de la transaction, la théorie prédit que l'augmentation du degré d'incertitude se traduit par un accroissement des coûts de transaction...
  • CRISES FINANCIÈRES - Instabilité financière

    • Écrit par Dominique PLIHON
    • 7 148 mots
    2. La montée de l'incertitude sur les marchés financiers, due par exemple à des faillites bancaires, augmente la difficulté des prêteurs à distinguer les bons risques des mauvais, ce qui aggrave les risques de sélection adverse. La difficulté des prêteurs à traiter l'information les rend peu enclins...
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Voir aussi