Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ESPACE THÉÂTRAL

Si étymologiquement le théâtre (en grec, theatron) est le « lieu d'où l'on voit », l'espace théâtral ne se laisse pas circonscrire à la scène : il la déborde et l'ouvre en incluant la sphère du public. Anne Ubersfeld (L'Espace théâtral, 1980) en note ainsi les propriétés : il est « concret et délimité ; double avec la co-présence simultanée des acteurs et des spectateurs [...] ». Cette définition témoigne de l'irréductibilité du terme à une description générique : l'espace théâtral désigne avant toute chose un rapport – rapport de la ville à ses espaces théâtraux, rapport de la scène à la salle, rapport des acteurs aux spectateurs. De ce fait, il ne renvoie pas à une forme fixe, immuable, mais caractérise les modalités spatiales, chaque fois particulières, mises en jeu dans un moment théâtral. Le terme est donc un outil qui permet d'appréhender l'expérience théâtrale dans sa singularité.

Une scène mythique : le théâtre grec

Le théâtre athénien (ve siècle avant J.-C.) agit ici comme une référence, parfois mythifiée. L'hémicycle grec permettrait en effet de révéler « l'essence du théâtre », son origine et son modèle. Théâtre de plein air, espace commémoratif, chargé d'un sens autre que le seul moment théâtral, et démocratique, lié de manière organique à la vie de la cité, l'espace « grec » est construit sur la distinction entre spectateurs et acteurs. Le public, en position surélevée, voit et s'interroge sur ce qui lui est montré. La présence exemplaire du théâtre dans la cité (bien que comme le note Nicole Loraux dans La Voix endeuillée, 1999, il ne se situe pas sur l'agora), la convocation de la communauté en ce lieu à l'occasion des lénéennes et des grandes dionysies déterminent le caractère politique de l'espace théâtral. Caractère vérifié a posteriori, que la cité prévoie des lieux spécifiques, qu'elle l'installe dans ses banlieues, l'inscrive à la cour, lui construise des « cathédrales » (André Malraux), ou ne lui laisse comme issue que la réquisition de friches ou d'espaces abandonnés. Le lien que la société tisse, en un temps donné, avec ses théâtres et ses représentations, est tout à la fois signifiant et structurant pour la vie esthétique et politique.

Une division parcourt l'ensemble de l'histoire de l'espace théâtral. Il existe, en effet, contrastant avec les salles de théâtre, des espaces non institutionnalisés, mouvants, parfois de plein air, parfois fermés. Cette opposition met en évidence l'histoire parallèle et entrelacée du théâtre sédentaire et du théâtre nomade. L'alternative est en effet la suivante : ou le théâtre s'intègre à des éléments architecturaux donnés ou, a contrario, il invente un espace qui lui est propre. Un théâtre de tréteaux, itinérant, réactivé par la suite sous d'autres formes en théâtre de rues dessine une appréhension immédiate du fait théâtral : celui-ci, au sein des villes ou des villages, s'inscrit dans la vie sociale dont il ne s'extrait pas. Si en France, le théâtre se fonde jusqu'au xviiie siècle sur l'occupation de lieux qui ne lui étaient pas destinés (les parvis des églises au Moyen Âge, les places, ou, au xviie siècle, l'Hôtel de Bourgogne ou des Jeux de paumes aménagés), progressivement il devient un lieu conçu par des architectes créant un rapport fixe entre la scène et la salle, soucieux d'organiser la réception en fonction de critères donnés comme intangibles. À partir de la Renaissance, en effet, le théâtre à l'Italienne s'impose peu à peu en Europe comme modèle théâtral quasi unique. Dans la salle, l'ordonnancement des spectateurs fait écho à la hiérarchie des rapports sociaux et un lustre éclairant le public durant toute la représentation en[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch

Classification

Pour citer cet article

Olivier NEVEUX. ESPACE THÉÂTRAL [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • THÉÂTRE OCCIDENTAL - Le mélange des genres

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 6 558 mots
    • 7 médias
    ...Nobel 1981, qui abordent diverses thématiques. En fond de scène, une maquette de maison dont la façade à grande échelle servira d'écran de projection. À un moment donné, le comédien quitte le plateau, traverse la salle et franchit la porte sous le regard des spectateurs. La suite de son trajet sera...
  • UBERSFELD ANNE (1918-2010)

    • Écrit par Universalis
    • 338 mots

    Historienne française du théâtre. Née à Besançon de parents originaires de Pologne, Anne Ubersfeld entre à l'École normale supérieure, mais le statut des juifs édicté par le régime de Vichy lui interdit de passer l'agrégation de lettres à laquelle elle se préparait. Elle entre alors dans la Résistance...

Voir aussi