CURIOSITÉ, histoire de l'art
Le dictionnaire de Trévoux (1771) donne en trois mots les composantes de la curiosité, « Curiosus, cupidus, studiosus » : l'attention, le désir, la passion du savoir. Il est étonnant que, dès les origines, le mot désigne à la fois l'état du sujet et la nature de l'objet, et qu'il soit toujours resté attaché à l'activité artistique ou scientifique de l'amateur. « Ce mot est reçu parmi les amateurs des arts, on dit familièrement : comment va la curiosité ? » (Trévoux). De fait, l'histoire de la curiosité suit comme une ombre l'histoire des objets dans leurs rapports avec notre désir, du plus inavoué (jouissance du collectionneur plus ou moins fétichiste) au plus honorable (amateur, chercheur...). Il est impossible aussi de séparer l'histoire de la curiosité de celle des collections avec laquelle cependant elle ne se confondra jamais. Dès l'Antiquité, sous le signe de la rareté et de la beauté, de grandes collections sont composées. Là, la curiosité surgit du trésor des butins. César oubliait la Gaule pour un camée. Quant au monstrueux Verrès « atteint d'une espèce de boulimie de beauté, il s'intéressait aux terres cuites, aux médailles, aux tapisseries, aux pierres taillées [...]. Capable d'acheter tout ce qu'il désirait, il dérobait tout ce qu'il ne pouvait acheter. » Se condamnant lui-même par ce cri : « Aucune fortune, aucune raison du monde ne pourrait me décider à me séparer d'un de mes trésors aussi longtemps que je vivrai ! » Durant le Moyen Âge, c'est l'Église qui se chargea d'accumuler un fabuleux patrimoine d'objets faits pour la beauté et l'étonnement dans les Schatzkammern (Chambre du trésor). Mais la curiosité se fait déjà plus subtile que le seul goût du lucre, plus exigeante que la simple jouissance esthétique. Très tôt, et surtout en Allemagne, il se mêle à cette soif de posséder le plaisir de la singularité merveilleuse, stimulatrice du savoir. Dans les « cabinets » germaniques s'accumulent les premiers oiseaux empaillés, les défenses d'éléphants, les crocodiles naturalisés, les conques fantastiques. C'est la passion de l'inconnu ; fasciné par la nature, le curieux préfère ses monstres et ses merveilles à toute la pompe et aux joyaux de la production culturelle. Dans ces derniers, il choisira toujours l'objet singulier générateur de surprise, complice de la folie. Ainsi souvent l'humour, et toujours le jeu sous ses formes les plus fines, est présent dans la curiosité.
Tout cela fait de la Renaissance, même tardive, l'âge d'or de la curiosité. L'enrichissement général, l'afflux d'objets et d'êtres exotiques, les découvertes physiques, optiques, mécaniques sont autant de causes favorables à telle passion. La soif du beau, la passion du neuf font aborder l'inconnu sans effroi ; le jeu est pratiqué avec profondeur et la propriété est encore l'apanage du savoir. Vient l'époque des Kunstkammern (littéralement chambre d'art en allemand) puis des Wunderkammern, chambres des merveilles où s'entasse la foule hétéroclite et monstrueuse des objets qui défient la raison et l'imagination. À la fin du xvie siècle, les deux termes fusionnent et l'on dit Kunst- und Wunderkammer (en français Cabinet d'art et de curiosités). On baptise son musée personnel Rarothèque, Ciméliothèque, Thesaurus fossilium... Sur l'étagère, la merveille côtoie la mystification : Albert V de Bavière pouvait montrer, sur la foi d'un ecclésiastique, « un œuf sorti d'un autre œuf », et, dans une tasse, « une pincée de poudre de manne divine ». Auguste Ier de Saxe possédait des poils provenant de la barbe de Noé ! Le fétichisme n'est pas loin. À côté de ces farces se constituent d'admirables collections[...]
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Écrit par
- Marie-José MONDZAIN-BAUDINET : attachée de recherche au C.N.R.S.
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