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CERCLES LITTÉRAIRES RUSSES

Durant le xixe siècle, en Russie, les cercles littéraires et philosophiques jouent un rôle intellectuel et social considérable, surtout dans les premières décennies, quand l'activité littéraire est pratiquement la seule forme d'expression possible : rôle formateur pour des adolescents insatisfaits de l'enseignement prodigué ; rôle contestataire, même s'il prend l'aspect innocent d'une retraite sentimentale, d'une parodie, d'une spéculation philosophique ; rôle de brassage social, car aux jeunes nobles viennent se joindre progressivement des intellectuels roturiers (raznotchintsy) préparant ainsi la naissance de l'intelligentsia russe. Ces cercles naissent et disparaissent spontanément. Il existe cependant une remarquable filiation : ils se démarquent des salons littéraires, aristocratiques, mondains, de culture française et font leurs les aspirations idéalistes de la littérature allemande (le schillerisme est un fil conducteur qui mène de Joukovski à Blok en passant par Bielinski et Dostoïevski), ils s'organisent autour d'une personnalité exceptionnelle dont le rayonnement sur ses compagnons ne disparaît pas, après une mort généralement précoce. C'est du moins le cas pour les plus importants.

La Société littéraire amicale, fondée à Moscou en 1801 par Andreï Tourguenev (1781-1803) avec son frère Alexandre, plus tard auteur de la Chronique d'un Russe à Paris (1838), et son ami Joukovski, le futur poète. Tourguenev leur fait partager son engouement pour la littérature allemande du Sturm und Drang et donne au problème du bonheur un éclairage social que Joukovski, après la mort de son ami, noie dans le sentimentalisme. L'avènement d'une littérature nationale, le rôle de Karamzine (jugé trop « féminin » par Tourguenev) sont au centre du débat repris plus tard dans la fameuse querelle entre les conservateurs, partisans de l'amiral Chichkov, et les amis de Joukovski regroupés dans la société parodique Arzamas (1815-1818).

Le cercle des Lioubomoudry, littéralement « Amis de la sagesse », terme mystique et maçonnique du xviiie siècle employé à la place de « philosophes » — « discrédité par les Français au xviiie siècle », selon Odoïevski, l'un des fondateurs du cercle (1823-1826) —, regroupe à Moscou de jeunes nobles ne souhaitant pas servir dans l'armée et employés aux archives des Affaires étrangères. Venevitinov (1805-1827), nature poétique, cultivée, précocement douée (il lit Homère et Platon dans le texte), en est l'âme. Disciple de Schelling, il aspire à l'unité du savoir et milite pour un renouveau esthétique. Apolitique, le cercle se dissout néanmoins après le soulèvement décembriste. Les amis se dispersent mais vouent un culte à la mémoire de Venevitinov. Certains (Kireïevski, Khomiakov, Kochelev) deviendront slavophiles, d'autres (Pogodine, Chevyrev) glisseront vers un « nationalisme officiel ».

Le cercle de Stankevitch assure le triomphe de la philosophie idéaliste allemande, de l'hégélianisme. Il regroupe dans les années trente à Moscou des étudiants nobles (Aksakov, Katkov), des roturiers (Bielinski, Krasov), des fils de marchands (Botkine, Koltsov), un ex-officier, (Bakounine), autour de Stankevitch (1813-1840), fils d'un riche propriétaire de Voronej, qui initie ses camarades à la spéculation philosophique. On étudie tour à tour Kant, Schelling, Hegel, selon une problématique héritée des précurseurs : dédoublement entre vie intérieure et réalité extérieure, aspiration à une vérité totale, besoin d'abnégation au service d'une idée (la patrie, le peuple, l'humanité). Hormis l'influence sur les étudiants, le cercle impose ses vues dans les revues moscovites, Le Télescope, puis L'Observateur de Moscou, surtout par l'intermédiaire de Bielinski.[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Grenoble-III

Classification

Pour citer cet article

Alexandre BOURMEYSTER. CERCLES LITTÉRAIRES RUSSES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ODOÏEVSKI VLADIMIR FEDOROVITCH (1804-1869)

    • Écrit par Alexandre BOURMEYSTER
    • 174 mots

    Cousin d'Alexandre Ivanovitch Odoïevski, disciple de Schelling, Vladimir Fedorovitch Odoïevski publie avec le futur décembriste Küchelbecker l'almanach Mnémosyne pour diffuser les conceptions esthétiques allemandes et lutter contre la gallomanie. Apolitique, il anime avec Venevitinov...

Voir aussi