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APOGÉE ET DÉCADENCE

Apogée et décadence, les deux notions s'associent pour signifier l'accomplissement puis la déchéance d'une institution, d'une nation, d'un empire ou d'une civilisation. L'histoire savante a souvent discuté le bien-fondé de ces notions, appuyées sur des jugements de valeur.

Les grandes périodisations cycliques de l'histoire, le mythe de l'âge d'or chez les Grecs ou la chute des dynasties dans la Chine ancienne, décrivent l'histoire comme une succession d'apogées et décadences. En affirmant le legs antique face à la barbarie des âges sombres du Moyen Âge, la Renaissance relit le passé occidental à la lumière de la décadence romaine. Aussi le xviiie siècle, bien que porté par l'émergence de l'idée de progrès, nourrit-il un questionnement permanent sur la chute de l'Empire romain, sur sa décadence. Montesquieu (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734) associe la décadence à un déterminisme produit par les contradictions internes des institutions, puis Edward Gibbon (The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, 1776 à 1788) soulève l'émotion de ses contemporains en faisant du christianisme la cause de la décadence romaine.

Dans les deux cas, on perçoit combien la définition de l'apogée et de la décadence s'attache à une conception idéalisée d'un modèle historique en un moment donné, souvent fondé sur une valorisation ou une dévalorisation d'ordre moral.

L'historiographie méthodique aurait dû discréditer un tel usage, mais les événements historiques du début du xxe siècle le réactivent. Après l'essai d'Oswald Spengler, Le Déclin de l'Occident(1919), les lendemains de la Première Guerre mondiale font la fortune de cette lecture de l'histoire. Ainsi Arnold Toynbee élabore, à partir de 1934, un modèle de vie et de mort des civilisations (A Study of History) qui fait de la décadence l'issue inéluctable de toute histoire. En 1932, la traduction biaisée du maître ouvrage de l'historien néerlandais Johan Huizinga, Le Déclin du Moyen Âge (dont le titre effectif était L'Automne du Moyen Âge) trahit l'obsession du moment.

L'emprise du couple apogée-décadence sur les grilles de lecture historiennes contrevient alors aux postulats scientistes de l'histoire méthodique et sa remise en cause pour jugement de valeur va de pair avec la professionalisation croissante de l'histoire. Lorsqu'il soutient sa thèse (Saint Augustin et la fin de la culture antique, 1937) Henri-Irénée Marrou décrit le déclin de la culture antique ; en 1949, la réédition de sa thèse est assortie d'une retractatio dans laquelle la notion d'antiquité tardive supplante l'idée de décadence (Décadence romaine ou antiquité tardive ? IIIe-VIe siècle, 1977). Le jugement de valeur qui faisait de la période une romanité abâtardie se transforme en une enquête sur la mutation qui mène du monde antique à la société chrétienne médiévale.

D'une autre manière, l'histoire sérielle a contribué à déprécier les notions d'apogée et de décadence. Préoccupé par le constat objectivé de la conjoncture et des phases de crise, l'historien se contente désormais de dessiner le flux des courbes.

Au-delà de l'écriture de l'histoire, la remise en cause des deux notions tient à leur fondement ; si l'apogée est la complétude d'un modèle et la décadence sa dilution, le regard contemporain sur la survie et le développement des systèmes vivants tend plutôt à insister sur l'importance de l'adaptabilité et de l'évolution, aux antipodes du fixisme impliqué par le jugement de valeur de la décadence.

— Olivier LÉVY-DUMOULIN

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Écrit par

  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

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Olivier LÉVY-DUMOULIN. APOGÉE ET DÉCADENCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )