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CICOUREL AARON (1928-2023)

Aaron Cicourel est un sociologue américain, particulièrement connu en France pour ses travaux de « sociologie cognitive » appliquée à l’étude des interactions en milieu scolaire et en milieu médical. Son œuvre ne se limite cependant pas à ces deux domaines, qui sont les seuls à avoir fait l’objet de livres traduits en français (1979, 2002). Il faut également lire ses ouvrages de critique méthodologique (1964), de sociologie de la déviance (1968) ou encore de démographie (1974) pour mieux apprécier l’étendue de ses recherches, qui se caractérisent par un ancrage empirique ferme, couplé à une volonté de faire dialoguer la sociologie avec d’autres disciplines : la linguistique, la science cognitive, la médecine clinique. Aaron Cicourel est aussi un des sociologues américains qui a le plus systématiquement cherché à comprendre et à prolonger le travail de Pierre Bourdieu. Ce dernier le lui a d’ailleurs bien rendu, en veillant à ce que quelques-uns de ses textes les plus importants soient traduits et présentés en français (2002). L’amitié entre les deux hommes était très forte, pour des raisons, peut-on suggérer, d’« homologie des habitus ».

Pierre Bourdieu a un jour expliqué que Cicourel avait reçu une formation « à la dure », qui ressemblait beaucoup à la sienne en Algérie. C’est dans la rue que Cicourel avait acquis son métier de sociologue : « Aaron Cicourel [...] a été élevé dans la banlieue de Los Angeles. Par exemple, il me raconte qu’il faisait la course avec des Noirs. Les types couraient à côté de lui et disaient : « Si tu gagnes, je te coupe le cou. » Et les types ne rigolaient pas. Donc, il a appris la sociologie, au fond, dans sa jeunesse, en pratique, dans des conditions de vie difficiles [...]. Et du coup, il y a des questions idiotes qu’il n’a jamais posées. Donc, il y a un capital de connaissance du monde social que l’on hérite de son milieu, de son expérience sociale, etc. » (P. Bourdieu, 1999/2003).

Cette esquisse d’analyse permet de saisir la disposition fondamentale de Cicourel face au monde social et de comprendre la sympathie et l’admiration que Bourdieu éprouvait pour lui. En la complétant avec quelques repères sur la formation universitaire de Cicourel, on se donne les moyens de restituer la matrice intellectuelle qui est au principe de ses travaux.

Né le 29 août 1928 à Atlanta (Georgie), Aaron Cicourel obtient une licence de psychologie expérimentale à l’université de Californie à Los Angeles en 1951, où il retourne après son service militaire pour une maîtrise de sociologie et d’anthropologie. En 1955, il part à l’université Cornell pour un doctorat en sociologie, puis revient à nouveau à UCLA en 1957 pour un postdoctorat. Il y fait la rencontre de Harold Garfinkel, le père de l’ethnométhodologie, et entreprend d’écrire avec lui un livre qui ne sera jamais achevé. En 1970, il s’installe définitivement à l’université de Californie à San Diego, où il noue de nombreux liens avec les milieux hospitaliers universitaires (au sein desquels il va travailler par observation participante) et avec divers pionniers de la science cognitive (Donald Norman, David Rumelhart...).

Dans chacun des domaines explorés, que ce soit sur le plan empirique ou sur le plan conceptuel, Aaron Cicourel ne sera jamais un suiveur ; il restera toujours un contestataire de l’intérieur. Ainsi, sa pleine maîtrise de l’ethnométhodologie lui permettra de critiquer l’approche de Garfinkel, et de lui opposer sa « sociologie cognitive ». Aux champions inconditionnels de l’analyse des conversations (Harvey Sacks, Emmanuel Schegloff), il reprochera de tomber dans le formalisme et il proposera une approche plus ethnographique, permettant de prendre en considération nombre de particularités des acteurs en présence dans un lieu et à un moment donnés. Aux sociologues classiques de la médecine, il pourrait dire qu’ils[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, École normale supérieure de lettres et sciences humaines, Lyon

Classification

Pour citer cet article

Yves WINKIN. CICOUREL AARON (1928-2023) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SOCIOLOGIE COGNITIVE

    • Écrit par Fabrice CLÉMENT
    • 2 964 mots
    • 1 média
    ...membre) abstraites dont la nature demeure très mystérieuse selon Laurence Kaufmann (2011). Cette difficulté a bien été ressentie par un élève de Garfinkel, Aaron Cicourel. Dans un ouvrage précisément intitulé La Sociologie cognitive (1979), il montre que les interactions quotidiennes seraient impossibles...