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HEINESEN WILLIAM (1900-1991)

Plusieurs fois, au cours des dernières décennies, le nom de ce natif des îles Féroé, qui rédigea toute son œuvre en danois, fut prononcé pour le prix Nobel, et il est tout à fait regrettable qu'il n'en ait rien été. Car cette œuvre est l'une des plus fascinantes que le Nord nous ait données au cours du xxe siècle. Œuvre abondante, et qui ne se limita pas à la littérature : Heinesen fut également peintre et musicien de qualité, et il lui fallut longtemps avant de se décider, à l'époque où il faisait ses études à Copenhague, entre les trois voies qui s'offraient à lui. Même en littérature, où il se sera surtout fait connaître par des romans (Blaesende gry, « Aube orageuse », 1934, version revue en 1961 ; Den sorte gryde, « La Marmite noire », 1949, et surtout De fortabte Spillemaend, « Les Musiciens perdus », 1950, ainsi que Moder Syvstjerne, « Mère Sept-Étoiles », 1952) et des nouvelles (La Lumière enchantée, Det fortryllede lys, 1958), son registre est des plus étendus. Ce fut, notamment, un grand poète aux écoutes d'une actualité qui fut particulièrement lourde pour son pays – c'est par là qu'il débuta en 1921 avec ses Arktiske Elegier (« Élégies arctiques »), et il demeura fidèle au lyrisme d'un bout à l'autre de sa vie (Højbjergning ved Havet, « Fenaison au bord de la mer », Den dunkle Sol, « Le Soleil obscur », 1936 et, encore en 1961, Hymne og harmsang, « Hymne et chant d'affliction »).

Heinesen incarne plusieurs traits typiques de l'esprit du Nord : à commencer par son « incapacité à séparer réalisme et imaginaire, vie quotidienne et légendes transfiguratrices. La clé de son œuvre s'appelle la Vie. Il ne l'a jamais mieux dit que dans « Mère Sept-Étoiles » ; un « récit du matin des temps » où se manifeste, sous toutes ses formes, réelles aussi bien qu'occultes, la vie invincible. Toujours vue, de plus, sous l'angle de la lutte incessante, dans le moi, entre aspirations à la vie et ces forces hostiles de déchéance et de destruction que les Féroïens éprouvèrent durement, pendant la Seconde Guerre mondiale en particulier. Sans égoïsme non plus : le passé de son minuscule pays lui a inculqué le sens de l'effort communautaire, ainsi que la foi en ses semblables et en leurs capacités de solidarité.

Les Musiciens perdus résume admirablement son inspiration. Le livre narre les heurs et malheurs de trois frères, méprisés par leur entourage, gagne-petit et trop naïfs, mais qui savent vivre en joie, dans le culte de l'amitié, de la musique, de la danse et de la bouteille. Ils seront, bien entendu, perdus par les commérages et la bigoterie du milieu : par là, l'auteur proteste contre notre monde qui n'a plus le sens de la joie véritable, contre le pessimisme et l'affolement de solitude de notre société actuelle. On trouve cette foi tenace en la vie brute dès les tout premiers textes que nous a laissés la religion scandinave ancienne. Et n'oublions pas qu'au-delà du cataclysme final ou Ragnarök un couple merveilleusement préservé au pied du grand arbre Yggdrasill a réussi à survivre, qui s'appelle Vie (lif) et Vie ardente (Lifthrasir), et qui reconstituera l'humanité. C'est en cela que William Heinesen retrouve l'esprit de ses très lointains ancêtres. La vie n'existe, pour lui, que transfigurée (ou enchantée : fortryllede).

Dans le style de Heinesen qui se situe toujours quelque part entre le lyrique, le pathétique et l'humoristique, il faut toujours lire autre chose que le donné immédiat. Puisqu'il lui semble impossible de ne voir que ce que nous regardons, tant dans un sens que dans l'autre ! Car s'il est évident qu'il se refuse à l'aperception étroite du réel, il se méfie aussi bien d'une exaltation vaine. Il se tient plutôt dans ce mouvement pendulaire[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Pour citer cet article

Régis BOYER. HEINESEN WILLIAM (1900-1991) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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