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NEKRASSOV VIKTOR PLATONOVITCH (1911-1987)

Le futur auteur du roman Dans les tranchées de Stalingrad, alors jeune officier de l'Armée rouge, a été blessé en juillet 1944 ; il s'est mis à écrire ses souvenirs militaires pour exercer sa main droite paralysée. C'est dans la grande revue moscovite Znamia (Le Drapeau) que le roman sera publié sous le titre de Stalingrad. Il jouira immédiatement d'une énorme popularité. Mais la critique officielle se déchaîne : peut-on parler de la grande guerre patriotique en ne la voyant que d'une petite colline, du point de vue d'un simple fantassin ? Est-il permis d'ignorer les grands états-majors et de ne mentionner ni le rôle dirigeant du Parti communiste, ni celui du grand guide des peuples, du généralissime Staline ?

Victor Nekrassov n'avait pas encore l'habitude et l'expérience des bagarres littéraires : né en 1911, il avait fait, avant la guerre, ses études d'architecture à Kiev (jusqu'en 1936), sa ville natale, puis, après quelques années de conservatoire dramatique, il avait été comédien dans plusieurs théâtres de Kiev, de Vladivostok, de Kirov et de Rostov-sur-le-Don. Le jeune écrivain fut donc obligé de changer le titre de son roman : Stalingrad devint Dans les tranchées de Stalingrad. Mais, un beau jour de 1947, Nekrassov trouva avec stupéfaction son portrait dans La Pravda : le prix Staline lui était attribué... Il paraît que c'est le dictateur lui-même qui ajouta le nom de Nekrassov à la liste des lauréats. Dans une autobiographie publiée trente-cinq ans plus tard en Occident, Nekrassov raconte sans essayer d'expliquer l'irrationnel : « À partir de ce jour, mon livre devint un modèle. Toutes les maisons d'édition se mirent à l'éditer et le rééditer, les traducteurs à le traduire en toutes les langues imaginables, les critiques à chanter ses louanges, ayant parfaitement oublié qu'hier encore ils avaient accusé l'auteur de „pacifisme“ et de „remarquisme“ » (du nom de l'écrivain allemand Erich Maria Remarque, auteur du célèbre livre À l'Ouest rien de nouveau, 1929). Malgré ce succès officiel, une nouvelle édition du roman ne put paraître qu'après 1958, à l'époque du dégel. Jusqu'à 1974, il y a eu 120 éditions en 30 langues du livre.

Le premier livre de Victor Nekrassov est unanimement considéré comme un des meilleurs témoignages sur la dernière guerre ; c'est un récit honnête, dépourvu de tout le pathétique si profondément enraciné dans la littérature de l'époque stalinienne, et qui montre avec sérénité et courage le quotidien de la guerre ; ce livre est en même temps la confession du jeune lieutenant (dans le roman, il s'appelle Kerjentsev), qui déteste les phrases boursouflées et qui apprécie par-dessus tout la camaraderie militaire.

Ce n'est qu'après la mort de Staline que Nekrassov, qui a gardé le silence pendant toute une décennie, a pu publier dans la revue Novy mir deux autres romans : La Ville natale (1954) et Kira Guéorguiévna (1961). Dans la première de ces œuvres, le romancier évoque le retour d'un combattant, Nikolaï Mitiassov, qui est amèrement déçu par tout ce qu'il trouve dans la société, par la mesquinerie des petits-bourgeois, par l'égoïsme des gens qui ne sont plus ni fraternels ni solidaires comme ils l'étaient sous les murs de Stalingrad. Dans le second de ces romans, on assiste à un autre retour : celui d'un sculpteur qui a été arrêté pendant la grande terreur et qui découvre que sa femme s'est mariée avec un autre homme, un peintre officiel comblé d'honneurs. Les deux romans de Nekrassov de l'époque du dégel ont été attaqués eux aussi par les critiques du parti ; ces attaques furent renforcées par Nikita Khrouchtchev qui, au cours d'une réception de l'intelligentsia au Kremlin, le 8 mars 1963, présenta Nekrassov comme un adversaire du [...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris X-Nanterre, docteur d'État ès lettres et sciences humaines.

Classification

Pour citer cet article

Efim ETKIND. NEKRASSOV VIKTOR PLATONOVITCH (1911-1987) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT, Georges NIVAT
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...orthodoxie de plus en plus marquée par le traditionalisme esthétique et un nationalisme souvent teinté d'antisémitisme. Elle dénonce le débutant Victor Nékrassov (Nekrasov, 1911-1987) pour avoir, dans V okopahStalingrada(Dans les tranchées de Stalingrad, 1946), peint la guerre sans emphase, sous son...

Voir aussi