BETTI UGO (1892-1953)

Auteur dramatique italien, Ugo Betti est l'un des écrivains les plus importants de sa génération. De nombreux prix l'ont couronné dans son pays. Ses dernières pièces, adaptées par M. Clavel (Pas d'amour, Corruption au palais de justice, L'Île aux Chèvres), ont obtenu en France un grand succès. Le poète n'est pas négligeable, mais le dramaturge est infiniment plus original.

On trouve déjà dans sa première pièce, La Maîtresse (1926), quelques-uns des problèmes qui l'ont préoccupé : l'instinct et la chair, les lois mystérieuses qui dirigent les hommes ; et l'on perçoit, malgré la violence ou l'abjection de certains êtres, une recherche pour percer ce mystère de leur nature.

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On a cherché dans le théâtre de Betti l'influence de Pirandello qui avait étudié la personnalité humaine telle qu'elle apparaît aux autres, et établi la distance entre notre monde intérieur et l'extérieur. Mais cette distance restait pour lui infranchissable et menait l'homme au seul désespoir. Betti constate ce désespoir, mais sans s'arrêter à la pitié comme Pirandello, il en cherche les raisons et envisage les solutions qu'on peut apporter aux problèmes humains.

Le réalisme des situations serait presque insoutenable si Betti n'était aussi un poète dont la vision transfigure la vie dès qu'il nous en a donné l'image désolante. Betti part en effet de données qu'il emprunte à la vie réelle : son expérience de juge (plusieurs de ses pièces reposent sur des enquêtes, des procès : Éboulement au quai nord, Corruption au palais de justice, Irène innocente, Inspection), les événements historiques ou politiques qu'il a vécus. Une grande partie de son œuvre, plus de la moitié, a été écrite après la guerre de 1940 et l'on y trouve l'écho des guerres et des révolutions avec les répercussions qu'elles ont eues sur les Italiens, réfugiés, fugitifs ou proscrits, dans la période troublée d'après-guerre : Le Joueur, La Reine et les insurgés, La Plate-Bande brûlée.

Les personnages, obsédés par leurs fautes, vivent dans l'angoisse et sont avides de spiritualité. Aussi dans le théâtre de Betti éclate la nécessité du transcendant.

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Du point de vue scénique, cela le conduit parfois à donner une apparence concrète à l'invisible, en plaçant sur la scène des personnages qui sont de pures abstractions (le Haut Réviseur dans Le Chasseur de canards), ou bien en faisant apparaître des morts (Ilva, dans Le Joueur), ou encore, dans la même pièce, en donnant à l'obscur cheminot un rôle symbolique.

En vue de cette représentation de l'irréel, les indications scéniques de Betti sont très détaillées : mise en valeur de certains objets par un éclairage ; division de la mise en scène en plusieurs lieux simultanés. Ces lieux restent imprécis ou imaginaires. L'action elle-même ne se déroule pas toujours dans le présent, mais ressuscite souvent le passé. Les événements ne sont pas exposés comme dans une intrigue classique, mais révélés par allusions. Dans ces recherches, on a vu une influence de la technique cinématographique, mais aussi l'apport de la psychanalyse : des faits survenus dans l'enfance commandent une vie entière, ou bien un être poursuit un but pendant toute sa vie, sans se l'avouer, jusqu'à la confession finale qui le libère et lui permet d'accéder à cette paix à laquelle tous aspirent.

Le problème du couple est l'un de ceux qu'évoque le plus souvent Betti ; déjà présent dans La Maîtresse, il est repris dans Mari et Femme (1943), où la routine qui s'installe entre deux êtres qui s'aiment finit par empêcher toute communication, par créer des malentendus qui ne se résoudront que plus tard, dans un amour où les paroles humaines n'ont plus besoin d'être dites. Dans Le Joueur (1950), un homme qui a tué sa femme s'aperçoit qu'elle représentait vraiment l'Amour et qu'en se débarrassant d'elle il a perdu sa seule et vraie compagne. Tout au long du drame, les personnages se débattent avec leur conscience beaucoup plus qu'avec leurs interlocuteurs, même si ce sont des policiers, des enquêteurs. Dans leur débat intérieur, ces êtres presque toujours méprisables, comme l'humanité moyenne quand elle est nue, ne désirent pas seulement la paix, ils veulent l'obtenir à travers la condamnation, donc l'expiation. Ainsi dans Corruption au palais de justice (1944), l'atmosphère lourde de soupçons où se déroule l'enquête contraste avec la pureté de la fille de l'un des juges. Mais quand un magistrat perfide lui apprend l'indignité de son père, la jeune fille ne résiste pas à cette révélation et se tue. Le sang de cette innocente purifie l'atmosphère, et le juge doublement coupable, qui venait d'être nommé président, va s'accuser lui-même.

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Dans L'Île aux Chèvres (1948), la mère, la fille et la belle-sœur, obsédées par leur séducteur, finissent par le laisser mourir au fond du puits où il est tombé : la mort, purificatrice ici aussi, sera en même temps le châtiment d'Agata, la mère, qui reste seule.

Tous ces êtres qui prennent peu à peu conscience de leur dépravation gardent la nostalgie d'une pureté perdue. « C'est une soif, dit Betti, pour laquelle les fontaines de la terre sont avares. » Et il ajoute : « Tout ou presque tout le théâtre qui compte aujourd'hui tire son souffle d'exigences essentiellement quoique diversement religieuses. »

— François PITTI-FERRANDI

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