TOMBEAU DE DU BELLAY, Michel Deguy Fiche de lecture

« Un long transport de poésie »

Cette leçon de lecture en forme de livre de poésie, d'une grande lisibilité alors même qu'elle confronte la méditation la plus rigoureuse sur les conditions du poétique aux notations attentives d'un mouvement de vie, d'une figure emblématique refondée ici et maintenant (« Mais le corps empli jusqu'aux bords un masque/ Caresse par reflet du séjour les pétales/ Et ongles des tulipes des femmes/ à Pistils ouverts dans les velours de la voix »), cette lecture-écriture en acte n'a pas manqué d'être saluée par ses contemporains comme un livre paradoxalement rénovateur, qui ouvre sur une poésie de la poésie déliée des empêchements formalistes comme des mythes de l'expérience ouverte hors du langage ou de l'image. Max Loreau, par exemple, a souligné l'importance de cette illimitation poétique, en une formule que l'on peut relever : « C'est là précisément l'objet le plus nouveau sans doute de Tombeau de Du Bellay : de proposer une œuvre dont manifestement les morceaux disparates sont faits pour composer un long transport de poésie et être agencés comme un tout mais au gré du lecteur – à la façon d'une de ces sonates dites aléatoires dont l'itinéraire est laissé au libre choix de l'interprète ». Tombeau de Du Bellay a ouvert dans l'œuvre de Michel Deguy, sous la forme d'un discours adressé, une voie fructueuse à l'espace de la rime. Une rime généralisée, en hommage distant à celui qui « fidèle à sa dépossession, invente la „rime en prose“ ». Une rime qui constitue un dernier point d'équilibre et d'articulation entre biographique et analytique, poésie versifiée et prose cadencée, elliptique, syncopée, par un système ouvert d'échos entre la méditation de l'œuvre lue et le mouvement du monde présent, entre le livre à venir et le préfixe grec reconstructeur du sens, entre le « lu beaucoup, éprouvé beaucoup » d'une vie prise à « la montre quartz » et le regret sans fin d'« une question à tout frayant en vain le tiers ».