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tg STAN, compagnie théâtrale

<em>Les Estivants</em>, de Maxime Gorki, par la compagnie tg STAN. - crédits : T. Wouters/ TG Stan

Les Estivants, de Maxime Gorki, par la compagnie tg STAN.

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Créée par Frank Vercruyssen, Sara de Roo, Jolente de Keersmaeker et Damiaan de Schrijver, la compagnie anversoise tg STAN (tg pour Toneelspelersgezlhap, « compagnie d'acteurs », STAN pour Stop Thinking about Names, « Cessez de penser aux noms ») était, à l'automne 2005, de retour à Paris, dans le cadre du festival d'Automne. « Cesser de penser aux noms », c'est refuser la hiérarchie des fonctions et la séparation des rôles, c'est promouvoir une mise en scène collective et mouvante, centrée sur l'acteur, ouverte aux spectateurs et à la langue de l'autre. Les tg STAN ont présenté cette saison cinq spectacles en alternance au Théâtre de la Bastille, dont deux sont des créations originales. Certains prennent un texte pour matière et point de départ : ainsi My Dinner with André qui s'empare du scénario du film de Louis Malle pour en détourner le dispositif en jouant sur la confusion des rôles, au cours d'un repas préparé sur le plateau même. Anathema, adapté du roman du jeune écrivain portugais José Luis Peixoto, met en scène deux comédiens. Sur fond de terrorisme, de peur et de violence, leur dialogue se voit biaisé par des écrans et des face-à-face avec les spectateurs. Les autres spectacles sont franchement ouverts à l'improvisation, à partir d'un canevas plus ou moins lâche : ainsi de L'Avantage du doute, qui rassemble dix comédiens, ou de Voir et voir, qui interroge la possibilité d'un dialogue entre deux personnages et un musicien ; Impromptus, enfin, est un filage collectif à partir de matériaux textuels et musicaux aussi éclectiques que possible.

Il faut dire l'originalité et l'inventivité de ces spectacles, qui font rire et perturbent, ranimant la fonction collective du théâtre, au point d'éveiller le désir de s'amalgamer à la troupe, de participer à ce travail qui pousse l'intelligence de la représentation jusqu'à assumer ces moments de vide, d'ennui, de silence, de malaise qui nous rappellent qu'il n'existe qu'un temps, partagé. Les acteurs sont en scène avant notre entrée dans la salle, qu'ils soient deux (Jolente de Keersmaeker et Tiago Rodrigues pour Anathema), ou une dizaine (Impromptus). L'un installe leur dispositif artificier fétiche, en vue de l'explosion d'un compotier de pommes vertes, d'autres sont dans les coulisses, pourtant visibles derrière des panneaux de bois sommairement montés, tandis qu'un écran recouvert d'un voilage diffuse une conférence de Harold Pinter. Pas de tréteaux pour Anathema, donné dans la salle du haut : un grand espace vide devant les gradins, que les acteurs investissent jusqu'à toucher les spectateurs. Jolente de Keersmaeker est d'abord assise à gauche : on la voit de profil, mais son image est projetée sur un grand écran, et sur un petit téléviseur ; ses lèvres remueront en léger différé, pendant qu'elle joue la scène du balcon de Roméo et Juliette – drôle de parole, décalée, étrange lyrisme. « Et maintenant vous allez mourir » ; les protagonistes d'Anathema nous prennent en otage : ils ont déposé une mitraillette sur une couverture étalée devant nous. Et si leur menace inquiète alors qu'on voudrait sourire, c'est qu'ils nous interpellent de très près. En effet, le spectacle, ce qui est rare, crée la possibilité d'un « nous ». Espace commun, langage commun dont le texte fait émerger les tropismes. Langue commune aussi, la nôtre, française, et pourtant soudain étrange, étrangère.

C'est ce français, parlé par des Flamands, qui est la marque des tg STAN. Le canevas d'Impromptus prévoit certes, outre des textes, des moments de silence et de musique. Un pianiste interprète un impromptu de Schubert, une blonde talentueuse chante Let me Weep, de Purcell, d'autres acteurs boivent des cannettes de bière et des ballons de rouge, dévident une pelote de laine dont ils encerclent un espace scénique réduit à sa plus simple expression, encombré de meubles empilés, entravé verticalement par un lustre toujours menaçant. Mais ils parlent aussi : ils lisent (d'inénarrables extraits d'un manuel de Bent Schott, qui recense la liste des phobies ou des mots du « parler bruxellois », une nouvelle de Tennessee Williams, un passage de Au but de Thomas Bernhard), sortent des feuilles, des livres, voire des dictionnaires. Ils jouent aussi, et jouent à jouer. Alors le délire gagne progressivement acteurs et spectateurs, parce que les mots soudain résonnent de manière insolite, à la faveur d'un jeu de mots (« échec »/« Et Shakespeare ») ou d'une répétition qui confine au non-sens : le « chez-vous-au-salon » inspiré du Paradoxe sur le comédien, le « quoi qu'on die » de la scène de Trissotin dans Les Femmes savantes. Avec le pot-pourri des scènes de Molière, et surtout l'extrait des Femmes savantes mis en scène avec une jouissance inédite, Impromptus franchit une limite : non pas celle de la bienséance, même si les corps des comédiennes s'emmêlent à plaisir, mais celle qui sépare la scène de la salle. Un « spectateur français », bon public, rappelle une réplique omise dans le texte de Molière ; le comédien s'interrompt et, bon enfant, corrige.

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Les tg STAN jouent sur et de la frontière : entre scène et salle, entre eux et nous, le français et le flamand. Ils honorent le répertoire et le mettent à distance, comme ils bousculent L'Amant de Pinter tout en saluant la parole de l'homme de théâtre fraîchement nobelisé.

— Anouchka VASAK

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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Autres références

  • LES ANTIGONES (TG STAN)

    • Écrit par
    • 972 mots

    Le nom de tg STAN a valeur de manifeste. Les initiales «  tg  » renvoient en flamand à Toneelspelersgezelshap (Compagnie d'acteurs) ; quant au sigle STAN, il signifie Stop Thinking about Names (« Cessez de penser aux noms »). Voilà qui définit le programme de ce collectif théâtral né...

  • ACTEUR

    • Écrit par
    • 6 818 mots
    • 4 médias
    La déconstruction de l'acteur passe aussi par le travail de tg STAN, une compagnie d'acteurs qui refuse la dimension démiurgique du metteur en scène, les répétitions, la fixité de l'interprétation, et qui prend le temps de lire, d'interpréter le texte avant de passer à la représentation directement...

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