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ANTHROPIQUE PRINCIPE

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L' anthropocentrisme a connu un tournant décisif à l'époque de la Renaissance. Jusqu'à Copernic (1473-1543), les « systèmes du monde » étaient explicitement centrés sur la Terre. Qu'elle fût considérée comme « centrale » ou comme « inférieure », la position occupée par l'homme possédait un caractère spécifique interdisant de considérer ces systèmes autrement que dans leur rapport à celui-ci. La révolution copernicienne – qui sera achevée par Newton – a profondément modifié la situation. Dans le nouvel univers, la situation de l'homme n'a rien de spécifique. Et il en est de même dans la cosmologie physique.

L'anthropocentrisme s'exprime à notre époque d'une manière différente. Jusqu'à nouvel ordre, aucun modèle n'est plus aujourd'hui envisagé où l'homme occuperait une place « spatialement » privilégiée. En revanche, le « principe anthropique » (du moins sa version forte, cf. infra) privilégie sa place d'une autre manière, en l'invoquant dans une proposition d'« explication » du monde.

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On trouve ainsi de nombreuses évocations d'un « principe anthropique » dans la littérature des dernières décennies. Mais il est malheureusement difficile d'en trouver un énoncé précis et unanimement accepté. Il est cependant assez généralement admis que l'on doit distinguer une version faible et une version forte.

La version faible revient à déclarer qu'un modèle (en général, un modèle d'Univers) ne saurait être retenu s'il ne permet pas l'existence de l'homme – d'où le terme « anthropique ».

Il convient ici de rappeler que la physique repose par essence sur le principe qu'une théorie ou un modèle ne sera pas retenu comme adéquat si une observation ou une expérience contredit ses prédictions. Ainsi, le simple fait que les hommes existent (nous en observons !) implique le rejet d'un modèle qui ne permettrait pas leur existence. Aucun besoin pour cela d'invoquer un principe supplémentaire. Le principe anthropique faible se réduit clairement à une simple tautologie, totalement superflue puisque la simple démarche scientifique implique les mêmes conséquences. En outre, on peut tout aussi bien y remplacer le terme « homme » par « âne », ou « caillou », ou tout type d'objet observé, avec une validité analogue.

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La plupart de ceux qui invoquent ce « principe faible » reconnaissent volontiers ce caractère tautologique. Pourquoi continue-t-il à être invoqué ? Quelle motivation suggère d'introduire ainsi « gratuitement » de l'anthropocentrisme ? Certains lui prêtent un caractère « heuristique », bien mal défini cependant. Il semble plutôt que sa seule fonction soit de tenter de rendre moins brutal l'énoncé « fort ».

Selon ce dernier, l'Univers « doit » admettre la présence de l'homme. Il ne s'agit plus d'un guide heuristique qui permettrait de sélectionner les modèles, mais d'une déclaration forte, à caractère finaliste, sur la nature profonde de l'Univers et son lien avec l'existence de l'homme.

Précisons tout de suite que, contrairement à certaines idées reçues, ce « principe », dans sa version faible ou forte, n'a jamais et, par essence, ne pourra jamais corroborer ou infirmer le moindre résultat scientifique, sans que la simple application des préceptes de la méthode scientifique puisse permettre de le faire aussi efficacement.

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L'ambiguïté de l'énoncé fort réside évidemment dans le terme « doit ». Pris comme l'expression d'une loi de la nature – par exemple : les corps doivent tomber dans le champ de gravitation terrestre –, il ramène immédiatement à la tautologie évoquée. Il ne peut donc prendre un sens que s'il se réfère à une loi « au-delà des lois naturelles » : l'Univers serait modelé ou, encore mieux ici, créé en relation avec l'existence de l'homme. Nous sommes clairement hors du domaine de la physique, et de la science en général. Reste à savoir si l'on peut accorder à cet énoncé une valeur philosophique. La plupart des philosophes répondent négativement. Cet anthropocentrisme prend son sens comme une affirmation d'ordre religieux. La plupart de ceux qui l'invoquent refusent pourtant de se référer à une religion déterminée : il s'agit plutôt d'une « religiosité cosmique », évoquant une « intention cosmique » qui rappelle le démiurge platonicien créateur de l'Univers.

Quelques-uns, toutefois, tentent de replacer ce principe dans le cadre d'une cosmologie physique ; pour sélectionner non plus des modèles, mais des univers. Il doivent pour cela supposer l'existence de « plusieurs univers ». Chacun d'eux obéirait à des lois physiques différentes. Par exemple, dans l'un d'eux, la gravitation n'existerait pas ; dans un autre, elle serait beaucoup plus faible ; dans un autre encore, plus forte. Dans la plupart de ces autres univers, étoiles et planètes n'auraient pu se former, et les hommes encore moins apparaître. Évidemment, parmi tous ces univers, le nôtre ne pourrait être que celui qui a les « bonnes » lois permettant notre apparition.

Oublions le point technique (cependant crucial) selon lequel il pourrait tout de même exister une pléthore d'univers qui pourraient – ou auraient pu – permettre l'apparition de l'homme. Concentrons-nous plutôt sur le sens à donner à ces autres univers (alors que, dans l'acceptation ordinaire du terme, l'Univers est par essence unique). L'hypothèse conduit rapidement à considérer que d'« autres lois physiques » ont cours dans les « autres univers », mais qu'elles ne peuvent être tout à fait arbitraires. En d'autres termes, on est conduit à admettre que certaines « super-lois » régiraient le comportement de tous les univers : l'ensemble de tous ces univers constituerait un « super-Univers », où règneraient ces « super-lois ». Cette « super-terminologie » ne saurait masquer que le « super-Univers » constituerait exactement ce que l'on appelle en général « Univers ». Ses lois en seraient simplement plus générales. Le principe cosmologique (qui énonce, en gros, que toutes les parties de l'Univers sont équivalentes) n'y aurait plus cours. On retombe sur l'opposition bien connue entre un énoncé « anthropique » et le principe cosmologique (introduit précisément en opposition à une vision anthropocentrique).

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Mais cette vision ramène encore au dilemme évoqué. Soit l'énoncé anthropique est vu comme un principe de sélection, qui explique pourquoi nous sommes dans une partie « habitable » : on reconnaît la tautologie déjà évoquée. Soit il est vu comme l'expression d'une « intention cosmique », qui a veillé à l'existence d'un petit coin d'Univers préparé pour le développement de l'homme ; et l'on retrouve la religiosité cosmique.

La conclusion est en fait déjà connue depuis des siècles : toute vision anthropocentrique, ou anthropique, ne peut prendre un sens que d'un point de vue religieux.

Précisons que, malgré l'impossibilité de lui donner un sens physique, un tel énoncé n'est pas sans conséquences. En effet, le prendre vraiment au sérieux (ce qui heureusement est rarement le cas, même chez ceux qui s'y réfèrent) voudrait dire qu'il « explique » pourquoi le monde est comme il est. Cela rendrait tout à fait vain et inutile de chercher une autre explication, par exemple sous la forme d'une théorie physique plus élaborée.

— Marc LACHIÈZE-REY

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École nationale supérieure de la rue d'Ulm, docteur en physique, directeur de recherche émérite au CNRS

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