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ONCLE BOONMEE, CELUI QUI SE SOUVIENT DE SES VIES ANTÉRIEURES (A. Weerasethakul)

Palme d'or à Cannes, inattendue mais finalement peu contestée, Oncle Bonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010) appartient à une cinématographie qui nous est encore peu familière. Les studios thaïlandais produisent pourtant chaque année une cinquantaine de thrillers fantastiques assimilant le style et les thèmes des standards japonais et hongkongais. Parallèlement à ces divertissements populaires, quelques cinéastes indépendants tels que Pen-ek Ratanaruang et Aditya Asserat tentent de réaliser des films d'auteur dans un esprit comparable à celui des cinémas européens des années 1960-1970, mais généralement avec moins de réalisme psychologique. Dans ce même courant, les films d'Apichatpong Weerasethakul se distinguent par leur caractère contemplatif, voire hermétique pour les Occidentaux. En effet, la nature et la magie des croyances thaï occupent le cœur de sa création.

Né à Bangkok en 1970, fils de médecin, élevé à la campagne, Weerasethakul conduit des études d'art à Chicago. Durant les années 1990, il commence à réaliser des films expérimentaux. Son premier long-métrage – Mysterious Object at Noon (2000) – révèle un univers original bientôt remarqué par la critique internationale. Jolie curiosité douce et lente, Blissfully Yours (Sud Sanaeha, prix Un certain regard, festival de Cannes, 2002) s'attache à montrer les amours, flâneries et baignades, une après-midi en forêt, de deux Thaïlandaises et d'un réfugié birman atteint d'une étrange maladie de peau. Tropical Malady (Sud Pralad, prix du jury, festival de Cannes 2004) suit les traces d'un soldat abandonné par son amant qui s'enfonce dans la jungle à la recherche d'un tigre mythique. Le cycle des films de la forêt tropicale semble prendre fin avec Worldly Desires (moyen-métrage, 2005) qui s'achève sur l'épigraphe For memories of the jungle : 2001-2005. De fait, dans Syndromes and a Century (Sang Sattawat, 2006), les personnages évoluent d'abord dans un hôpital de campagne, avant de se retrouver dans un grand hôpital de Bangkok où ils revivent à peu près les mêmes situations. Ces rencontres décalées peuvent prendre un tour différent, d'autres protagonistes s'intégrant à ces mutations, conjugaisons aimables et récits poétiques.

En retrouvant la forêt vierge, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures orchestre et approfondit de façon magistrale l'inspiration et la structure des œuvres précédentes. Ce film de fiction occupe cette fois la position centrale d'une constellation plastique comprenant notamment une installation – Primitive project, présentée dans des galeries d'art parallèlement à la sortie du film – et un court-métrage de repérage, A Letter to Uncle Boonmee, qui explore notamment la chambre du vieil homme ouverte sur la jungle et plongeant dans la mémoire des massacres perpétrés par l'armée thaïlandaise à Nabua. Deux éléments qui trouveront place – le premier à l'image, le second en hors-champ sonore – dans le long-métrage final. Avec cet ensemble postmoderniste, et comme Abbas Kiarostami, David Lynch ou Agnès Varda, le cinéaste thaïlandais élargit ici son travail à d'autres formes d'expression.

Renchérissant sur le titre, le carton inaugural incite d'emblée le spectateur à voir dans le buffle qui se libère de ses entraves une incarnation antérieure d'oncle Boonmee : « Devant la jungle, les montagnes et les vallées, mes vies passées, comme un animal ou d'autres êtres, se tenaient devant moi. » Rien de plus simple en effet que le principe narratif de ce conte qui, au réalisme cru des dialyses que subit le personnage principal, juxtapose un univers de légendes (la princesse fécondée par le poisson-chat qui semble appartenir à un « royal costume drama » de la télévision thai). Le film décline dans un artistique[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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Pour citer cet article

René PRÉDAL. ONCLE BOONMEE, CELUI QUI SE SOUVIENT DE SES VIES ANTÉRIEURES (A. Weerasethakul) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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