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RICHLER MORDECAI (1931-2001)

Romancier, essayiste, journaliste, scénariste, Mordecai Richler a longtemps été l'écrivain canadien le plus connu à l'étranger, notamment aux États-Unis et dans les autres pays de langue anglaise. Le journal québécois Le Devoir a dit de lui en 1992 que „par un curieux virage du destin, ce rejeton excentrique de la communauté juive montréalaise est devenu le principal porte-parole de ce qui reste d'une anglo-cratie désenchantée“. En effet, né en 1931 dans un quartier ouvrier à majorité juive et anglophone de Montréal, Richler se trouve en marge à la fois de la puissante communauté anglo-saxonne et protestante qui contrôle encore les affaires de la province, et du milieu francophone et catholique qui va reprendre les rênes du Québec après la Révolution tranquille et la création du Parti québécois dans les années 1960. La crise de 1929 et les bouleversements politiques qui s'ensuivirent (la guerre d'Espagne et l'antifascisme, puis le combat contre le nazisme, l'Holocauste et la recherche par la diaspora juive d'une terre d'accueil) ont également laissé leurs traces dans les textes de cet écrivain fondamentalement moraliste mais capable de choquer.

À l'âge de dix-neuf ans, Mordecai Richler part pour l'Europe ; à Paris, il côtoie d'autres écrivains expatriés comme Mavis Gallant et James Baldwin, et publie sa première nouvelle. Dans un article intitulé „Comment je suis devenu un inconnu avec mon premier roman“ (Maclean's, 1958), il raconte avec une ironie décapante qui n'exclut pas l'autodérision – et qui deviendra la marque de sa plume – les deux années qu'il passe de nouveau au Canada à travailler comme rédacteur à la C.B.C. et à réviser pour une maison d'édition londonienne le manuscrit de son premier roman, The Acrobats (1954), qui met en scène la guerre civile en Espagne, et dans lequel les critiques ont perçu l'influence de Sartre et de Malraux aussi bien que celle d'Hemingway, Dos Passos, Fitzgerald ou Faulkner. Devant le peu d'écho que rencontre le livre au Canada, Richler décide de repartir pour Londres, où il séjourne pendant dix-huit ans. Il y écrit et présente des documentaires pour la B.B.C., et s'y révèle un auteur prolifique : pendant les cinq ans qui suivent, il publie trois romans, parmi lesquels le plus célèbre, The Apprenticeship of Duddy Kravitz (L'Apprentissage de Duddy Kravitz, 1959), qui sera adapté au cinéma par Ted Kotcheff et remportera l'ours d'or au festival de Berlin en 1974.

Des romans tels que Son of a Smaller Hero (Mon Père, ce héros, 1965) ou St Urbain's Horseman (Le Cavalier de Saint-Urbain, 1971), ainsi que ses essais autobiographiques (The Street) abordent la question de l'engagement et de la responsabilité, et s'interrogent sur la place des Juifs dans une société moderne et séculière d'une façon si irrévérencieuse qu'elle lui attire les foudres de la communauté juive. Comptant parmi les plus grands satiristes de sa génération, Richler s'attaque à tous les mythes de sa culture : il n'hésite pas, dans A Choice of Enemies (Le Choix des ennemis, 1957), à casser l'image de victimes idéalistes que se donnent à Londres les cinéastes américains ayant fui le maccarthysme. The Incomparable Atuk (1963) et Cocksure (1968) dénoncent aussi bien, par le biais de la caricature, un nationalisme canadien à la mode que l'emprise de l'industrie des loisirs américaine. Après Solomon Gursky Was Here (Gursky, 1990), Barney's Version (Le Monde de Barney, 1999), son dixième et tout dernier roman, a été acclamé pour sa virtuosité : subtil mais paillard, drôle et pathétique à la fois, il met en jeu une culture étendue qui va du monde des lettres à celui du hockey sur glace. C'est aussi une belle évocation du Paris du début des années 1950.[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature canadienne et de littératures postcoloniales à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Marta DVORAK. RICHLER MORDECAI (1931-2001) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CANADA - Arts et culture

    • Écrit par Andrée DESAUTELS, Roger DUHAMEL, Marta DVORAK, Universalis, Juliette GARRIGUES, Constance NAUBERT-RISER, Philip STRATFORD
    • 24 894 mots
    • 3 médias
    ... (1951), le seul roman écrit par le poète juif montréalais A. M. Klein (1909-1972), dont les œuvres engagées ont incité d'autres écrivains, tels que Mordecai Richler, à narrer les expériences de la communauté juive. Richler (1931-2001), romancier mais aussi essayiste, journaliste et scénariste,...

Voir aussi