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RADNÓTI MIKLÓS (1909-1944)

Le souvenir, l'angoisse et l'appel de la mort composent la vie et la poésie de Miklós Radnóti. Il n'y a peut-être aucun autre poète hongrois qui ait identifié si étroitement la vocation de l'écrivain à celle du martyr. « Quelque chose dont on ne peut parler que dans des poèmes » commence pour lui lorsqu'il apprend l'histoire de sa mère et de son frère jumeau, morts à sa naissance. Il parle de cette « expérience » déterminante dans l'émouvant récit autobiographique, Ikrek hava, 1940 (Le Mois de gémeaux).

Malgré ou à cause de son origine juive, ses premiers poèmes évoquent un certain christianisme païen, mais il y a autant de provocation dans ceux-ci que de recherche d'une voix propre, libérée des influences de Baudelaire ou de Endre Ady. L'expressionnisme et le vers libre s'accommodent tant bien que mal de l'amour chanté dans le paysage idyllique, encore rarement perturbé. L'assombrissement de l'horizon politique est marqué par la saisie de Újmódi pásztorok éneke, 1931 (Chant de pasteurs à la mode nouvelle). Malgré son doctorat obtenu à Szeged en 1934, Radnóti ne pourra jamais enseigner le français ou les lettres. Il recourt, comme par réaction aux menaces extérieures, à une poésie de plus en plus disciplinée par la forme classique : les rimes apparaissent dans Újhold, 1935 (Nouvelle Lune). Sa technique de représentation des sentiments par l'image microscopique du paysage s'affine dans Járkálj csak halálraítélt !, 1936 (Avance, condamné à mort...).

Les mouvements du Front populaire, les voyages à Paris sont les dernières sources d'espoir « d'un beau trépas plus subtil ». Mais en 1938, dans La Route abrupte, l'ultime volume paru de son vivant, Radnóti prévoit déjà que Federico García Lorca assassiné et Attila József, qui s'est suicidé, ne font que le précéder dans la souffrance et la mort. Le pressentiment devient certitude. Il combat pourtant en traduisant les Fables de La Fontaine, les poèmes d'Apollinaire, de Francis Jammes, etc. Son choix est toujours en rapport avec sa propre œuvre dont les sommets, constitués par les huit églogues (écrites entre 1938 et 1944) et par la Marche forcée, s'inspirent respectivement de Virgile et de la forme du Nibelungenlied, utilisée par Walther von der Vogelweide.

Le recueil posthume Tajtékos ég, 1946 (Ciel écumeux), composé par Radnóti, ne contient pas ses derniers poèmes. Ceux-ci, retrouvés dans la fosse commune où son corps fut jeté, sont les plus poignants témoignages sur la tragédie des milliers de « S.T.O. » hongrois. Le ton bucolique y souligne par contraste l'horreur des camps. Pendant qu'on les emmène en « marche forcée » depuis la Yougoslavie vers la frontière autrichienne, Radnóti écrit ses Razglednice (cartes postales en serbo-croate). Leur réalisme quasi photographique et le lyrisme si radnótien sont des procédés poétiques effroyablement efficaces pour représenter l'inimaginable, sa propre mort imminente : « Je suis tombé près de lui. Comme une corde qui saute/son corps, roide, s'est retourné./La nuque, à bout portant... Et toi comme les autres,/pensais-je, il te suffit d'attendre sans bouger./La mort, de notre attente, est la rose vermeille./« Der springt noch auf », aboyait-on là-haut./De la boue et du sang séchaient sur mon oreille. » (« Quatrième Carte postale », datée du 31 octobre 1944, dix jours avant sa mort.)

— Véronique KLAUBER

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Véronique KLAUBER. RADNÓTI MIKLÓS (1909-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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