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SALVAYRE LYDIE (1946- )

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Une langue baroque

Le français n’est pas vraiment sa langue maternelle : Lydie Salvayre aime à dire que le « fragnol »de sa mère, langue de résistance bancale, bricolée, hybride, qui passe les frontières et fait fleurir des aberrations linguistiques, l’a amenée dès l’enfance à porter aux mots une attention aiguë et a sans doute fait d’elle une écrivaine. De fait, elle joue de la langue française en virtuose baroque. Elle télescope en permanence les registres élégant et populaire, s’empare avec humour de la rhétorique du siècle classique aussi bien que des « parlures » contemporaines, qu’elles soient officielles, professionnelles ou populaires. Car bousculer la langue, c’est aussi bousculer l’ordre social et les lieux communs, contester l’hégémonie du « français dégueulasse » des politiques et des médias.

De fait, ses romans sont largement composés de discours qui déraillent, comme la rhétorique est parasitée par un chagrin d’amour dans La Conférence de Cintegabelle (1999). Ces dispositifs de prise de parole la donnent à ceux qui ne l’ont pas. Dans Les Belles Âmes (2000), les jeunes gens ne parlent pas, ils sont parlés. « J’ai été comme eux », dit-elle et, pour faire entendre leurs voix défaillantes, elle leur prête sa propre voix, dotée de la puissance de la littérature.

Dans ses derniers romans, Lydie Salvayre revient sur son histoire familiale. En mai 2014, elle apprend qu’elle souffre d’un cancer ; en novembre, elle reçoit le prix Goncourt pour Pas pleurer, qui noue les fils dispersés dans d’autres romans. Elle y raconte aussi un pan d’histoire, revisité à travers les yeux des vaincus, la parenthèse enchantée de la révolution libertaire de l’été 1936 en Espagne, effacée tant par les communistes que par les franquistes. Ce moment d’émancipation surgit de l’oubli sur fond d’amnésie : Montse raconte à sa fille Lidia ces jours lumineux – seuls à survivre à l’Alzheimer qui ravage sa mémoire –, où la paysanne de seize ans a découvert la politique et l’amour en la personne d’André, poète français engagé dans les brigades internationales, avec lequel elle passa une seule nuit d’où naquit sa fille aînée. De douloureux contrepoints éclairent les impasses de cette révolution : les parcours de Josep, le frère anarchiste, et Diego, le mari imposé stalinien, ainsi que Les Grands Cimetières sous la lune (1938), le pamphlet de Georges Bernanos, déchiré par la connivence de l’Église avec les atrocités franquistes.

Même s’il s’agit d’une commande, Marcher jusqu’au soir (2019) est l’un des textes les plus personnels de Lydie Salvayre. Pendant une nuit passée au musée Picasso, devant L’Homme qui marche de Giacometti, le lecteur est convié à partager son impuissance à créer et ses angoisses. L’écrivaine associe sa révolte eu égard au père malade qui la terrifiait à son rejet de la culture dominante ; et décrit comme fondatrice de la force de son écriture ce qu’elle a jusqu’alors eu tant de mal à exprimer : la violence de la honte sociale ressentie dans l’enfance et qui ressurgit dans l’écharde d’une phrase prononcée au cours d’un dîner mondain : « Me serais-je lancée dans l’écriture sans ce “Elle a l’air bien modeste” ? »

— Christine GENIN

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Christine GENIN. SALVAYRE LYDIE (1946- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 21/03/2024

Média

Lydie Salvayre - crédits :  Ulf Andersen/ Aurimages

Lydie Salvayre

Autres références

  • ROMAN - Le roman français contemporain

    • Écrit par
    • 7 971 mots
    • 11 médias
    La Marque du père de Michel Séonnet (2007) évoque, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’engagement paternel dans la division Charlemagne ; Pas pleurer (2014) de Lydie Salvayre revisite, à travers la mémoire défaillante d’une mère et des extraits scandalisés des Grands Cimetières sous...