SEPÚLVEDA LUIS (1949-2020)
Avec Francisco Coloane, Roberto Bolaño, Isabel Allende, Luis Sepúlveda fut l'un des écrivains chiliens contemporains les plus renommés et sans aucun doute le plus populaire. Son idéal était tout de générosité : « Dans la littérature se reflète la position éthique de l'auteur et je sais pour qui j'écris : l'immense foule des perdants. »
Né le 4 octobre 1949 à Ovalle, au Chili, militant des Jeunesses communistes, emprisonné après le coup d'État de Pinochet le 11 septembre 1973, il peut, grâce à Amnesty International, quitter le Chili en 1977 et va bientôt sillonner divers pays d'Amérique du Sud. En 1979, il participe à la révolution sandiniste au Nicaragua. En 1982, il s'installe à Hambourg, fait du journalisme, voyage souvent en Afrique ou en Amérique latine. De 1982 à 1987, il travaille avec le mouvement Greenpeace. Son œuvre révèle une personnalité généreuse, enthousiaste et courageuse. La dénonciation virulente des coups d'État fascistes, des dictatures, des totalitarismes, constitue un thème récurrent de ses livres.
Sepúlveda a par ailleurs vécu quelques mois dans la forêt amazonienne de l'Équateur, auprès des indiens Shuar (les Jivaros). Son action en faveur des communautés indigènes lui inspira par la suite Un viejo que leíanovelasde amor(1993, Le Vieux qui lisait des romans d'amour) : un vieil Équatorien, retiré dans la forêt amazonienne, lecteur avide de romans d'amour, comprend qu'un homme dont on a retrouvé le corps, un de ces chercheurs d'or, « individus sans scrupules venus de tous les horizons », a été tué non par les Shuar accusés du meurtre, mais par un félin. Célébration des coutumes indigènes, de la nature dévastée par la cupidité, ce récit réaliste et magique, en partie autobiographique, a obtenu un succès mondial.
Du récit fantastique aux évocations de voyage, l'œuvre de cet écrivain inventif et chaleureux va se déployer sur tous les registres et dans tous les genres. Sepúlveda est à sa manière un écrivain engagé, tout à la fois remarquable conteur, défenseur des droits de l'homme et de la protection de la nature. Loin de tout formalisme, ses romans, qu'ils privilégient l'ironie, le burlesque ou le tragique, recourent aux styles, aux situations et techniques d'écriture les plus naturels, entrelaçant fiction et réalités politiques. Hauts en couleur, insolites ou cocasses, les personnages mis en scène charment moins le lecteur qu'ils ne lui permettent de prendre conscience de la violence et des dévastations en cours. « Raconter, c'est résister. » De cette maxime de l'écrivain brésilien Guimarães Rosa (1908-1967), Sepúlveda a fait sa devise. Parmi les nombreux ouvrages publiés, on retiendra quelques titres et quelques thèmes.
La lutte contre le saccage de la flore et de la faune, « assassinat quotidien de la nature », donne sa forme à Mundodel fin delmundo (1994, Le Monde du bout du monde). Adolescent, enthousiasmé par la lecture de Moby Dick de Melville, le narrateur s'embarque avec des baleiniers sur les océans de l'Antarctique. Adulte, devenu journaliste et membre du mouvement Greenpeace, il revient dans ces contrées pour y pourchasser les prédateurs de la faune marine, notamment les baleiniers japonais, dont il parvient à contrer la barbarie sanguinaire. Intrigue policière et passion écologiste s'entremêlent dans un récit plein d'alacrité. La dénonciation de l'exploitation minière sauvage et des dégâts infligés à la nature par l'industrie agro-alimentaire s'expriment dans Patagonia Express (1995, Le Neveu d'Amérique). Nombre de torero (1996, Un nom de torero) retrace les mésaventures de deux individus, chargés de récupérer après la chute du Mur de Berlin un trésor de monnaies d'or, volé par les nazis et dissimulé dans un endroit perdu de la Patagonie. L'amour, la soif de richesses, les assassinats, le trésor dérobé suscitent mille drames situés dans le contexte de l'époque, narrés dans une langue pittoresque et salace, parsemée d'américanismes. Historia de unagaviota y delgato que le enseñó a volar (1996, Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler) est une fable sur l'amitié et l'amour qui peuvent lier les bêtes autant que les humains. « Je n'écris pas pour émouvoir, mais pour partager mon émotion. » Desencuentros (1997, Rendez-vous d'amour dans un pays en guerre), nouvelles, Diario de un killer sentimental (1997, Journal d'un tueur sentimental), parodie de roman noir, Yakaré(1998) et Hot line (2002), nouvelles policières, dénoncent les méfaits à l’œuvre dans la société chilienne. Des portraits et le récit de destinées singulières composent Las Rosas de Atacama (2001, Les Roses d'Atacama). La locura de Pinochet (2004, La Folie de Pinochet), sinistre portrait du dictateur, rassemble vingt et un articles sur le Chili. El poder de los sueños(2004, Le Pouvoir des rêves), recueil de souvenirs et célébration d'écrivains admirés, contient un beau témoignage sur Salvador Allende. Les douze nouvelles originales intitulées La lámparade Aladino(2008, La Lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli) entraînent le lecteur aux confins des paysages de prédilection du narrateur.
Art du conteur, humanisme, esprit de solidarité, sens éthique, rébellion contre les totalitarismes, révolte contre les aberrations des progrès techniques caractérisent l'univers imaginaire de Luis Sepúlveda. La sombra de lo que fuimos(2009, L'Ombre de ce que nous avons été) conjugue avec humour et émotion les destins de trois anciens militants de gauche, trente-cinq ans après le coup d'État de Pinochet. En dépit de leurs déboires et de l'exil, et malgré les brisures de l'histoire contemporaine, ceux-ci n'ont rien perdu de leurs illusions. Ils s'apprêtent à entreprendre une action révolutionnaire, quand, de façon grotesque, le destin vient interrompre leur projet téméraire. Ce très beau livre reçut en Espagne le prix Primavera 2009. El Fin de la Historia (2016, La Fin de l’histoire) revient également sur les années de la dictature chilienne.
Luis Sepúlveda meurt le 16 avril 2020 à Oviedo (Espagne).
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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