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LETTRES DE FUITE et RUINES BIEN RANGÉES (H. Cixous) Fiche de lecture

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Les deux mémoires

Apprendre à lire, c’est apprendre à lire le monde. De cela Ruines bien rangées vient témoigner avec force. Hélène Cixous y arpente à nouveaux frais la ville d’Osnabrück qui fut celle de sa famille maternelle, juive allemande : « J’ai compris qu’Osnabrück est un livre que ma mère m’a laissé à lire et à écrire. » Non sans ambivalences, la ville de Basse-Saxe a peu ou prou accédé au statut de personnage principal depuis qu’Hélène Cixous s’y est « rendue » pour la toute première fois peu après la mort de sa mère centenaire, en 2015, comme elle le racontait dans Gare d’Osnabrück à Jérusalem.

Au cours de son enfance passée à Oran, Hélène Cixous assistait aux conversations de sa mère et de sa grand-mère, conversations qui, dans leur exil algérien, les ramenaient aux temps heureux d’Osnabrük, avant son effroyable et ultrarapide nazification à laquelle elles avaient échappé, pour l’une au moins, miraculeusement. Face aux archives officielles, et même face aux « ruines bien rangées » de l’ancienne synagogue exposées au cœur de la ville – « Ces restes soignés, étiquetés, enfermés dans une cage, c’est un portrait de mes ruines intérieures » –, cette archive intime, familiale, riche aussi d’événements comiques, vient, de manière parfois terrible, donner chair à la mémoire officielle soigneusement entretenue par la ville. Il en résulte un grand brassage onirique des mémoires et des réalités. Dès la première page, on retrouve Ève, la mère surgie spontanément pour marcher à ses côtés dans Osnabrück et devenir son Virgile aux portes de ce qui fut, dès le début des années 1930, l’enfer absolument. C’est le temps lui-même qui fait sarabande quand, écrit Hélène Cixous, « nous prenons par la place de la Cathédrale en pressant le pas de plus en plus fort, comme si nous étions nous-mêmes, ma mère et moi, des voitures qui se souviennent d’avoir été des chevaux. » « Comme si nous étions nous-mêmes » : l’ambivalence est reine, décidément, dans l’art d’Hélène Cixous.

— Bertrand LECLAIR

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Bertrand LECLAIR. LETTRES DE FUITE et RUINES BIEN RANGÉES (H. Cixous) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 02/11/2021