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LE SPINOZA DE LA RUE DU MARCHÉ (I. B. Singer) Fiche de lecture

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Humour et nostalgie

C'est en octobre 1978 que Singer se voit décerner le prix Nobel de littérature. Il prononce alors un discours de remerciement où il dit tout ce qu'il doit aux fantômes, aussi bien à ceux d'une littérature yiddish en cours d'extinction qu'à ceux des conteurs qui ont nourri cet imaginaire. Le monde du Spinoza de la rue du Marché est celui de la communauté juive, avec son attente du Messie et du Jugement dernier, ses angoisses eschatologiques, mais aussi ses joies et ses peines. Joies de l'étude à l'école talmudique, plus tard de la fréquentation des œuvres de Spinoza, joies uniques de l'amour partagé, quel que soit l'âge des amants. Car le miracle de l'écriture de Singer est de nous plonger dans un univers inconnu, radicalement disparu, et de nous en faire pleinement partager les aspirations, par sa capacité à donner chair à ses personnages. Nous suivons ainsi les amours, les désirs, les déceptions, les illusions, les manœuvres des Juifs de Kreshev, de Zamosc, de Komarov ou de tout autre lieu, car ils nous sont étrangement familiers dans leur humanité même.

L'élément fantastique intervient fréquemment chez Singer. Satan ou ses démons choisissent un village, un couple, un individu, en font la victime de leurs expérimentations, et se réjouissent, une fois de plus, de la chute de l'homme : « Je suis le Serpent de la Création. Satan, c'est moi. La Cabale me nomme Samael et les Juifs m'appellent parfois simplement „celui-là“. Ce n'est un secret pour personne : j'adore arranger les alliances les plus étranges... » L'homme n'a pourtant pas besoin d'être poussé par le diable pour perdre son humanité. Gimpel en est un vivant exemple, souffre-douleur de ses camarades dès l'enfance. Quelle admirable leçon d'humilité donne-t-il, dès les premiers mots de la nouvelle, alors qu'il se présente : « Je suis Gimpel l'imbécile. Personnellement, je ne crois pas être un imbécile, bien au contraire. Mais c'est le surnom qu'on m'a donné alors que j'étais encore écolier. J'avais en tout sept surnoms : idiot, bourrique, tête de linotte, abruti, crétin, benêt et imbécile, et ce dernier me resta ».

Le monde de Gimpel est celui de la nostalgie, d'une façon de vivre qui disparaît avec la Shoah. La décision, prise par l'État d'Israël, de choisir l'hébreu comme langue officielle a entériné cette disparition. Les œuvres d'Isaac Bashevis Singer ont souvent paru simultanément en yiddish et en traduction anglaise. C'est pourquoi l'humour de l'écrivain est presque toujours teinté de regret. Ainsi lorsqu'il déclare : « J'aime écrire des histoires de fantômes et rien ne me convient mieux pour écrire des histoires de fantômes qu'une langue qui se meurt. Les fantômes aiment le yiddish et, d'après ce que je peux savoir, tous le parlent ! »

— Jean-François PÉPIN

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Écrit par

  • : agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur au lycée Jean-Monnet, Franconville

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Pour citer cet article

Jean-François PÉPIN. LE SPINOZA DE LA RUE DU MARCHÉ (I. B. Singer) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 06/01/2017

Média

Isaac Bashevis Singer - crédits : Nancy Rica Schiff/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Isaac Bashevis Singer