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LE SOURIRE DE MA MÈRE (M. Bellocchio)

Durant les années 1960, à l'époque heureuse où se mettait en place dans le cinéma italien une exceptionnelle génération de metteurs en scène qui reprenaient à leur compte – pour les prolonger ou pour les subvertir – les enseignements du néo-réalisme, Marco Bellocchio faisait ses débuts avec un film violemment iconoclaste. Drame exaspéré de l'enfermement et charge rageuse contre l'institution familiale, Les Poings dans les poches (1965) révélait un cinéaste de vingt-six ans, capable de mêler tendresse poétique et posture blasphématoire. Bellocchio y dénonçait les valeurs bourgeoises dont il soulignait la décrépitude. Il écrivait à Pasolini : « Alessandro n'est pas enragé contre les valeurs bourgeoises – le droit de propriété, la famille, la patrie, la religion, etc. –, mais il les élimine, les liquide comme des objets inutilement encombrants, des ustensiles qui ont fait leur temps. » D'une certaine manière, trente-sept ans plus tard, L'ora di religione (2002), distribué en France sous le titre Le Sourire de ma mère, reprend un tel discours.

En découvrant que sa famille cherche depuis trois ans à faire canoniser sa mère, le protagoniste, Ernesto Picciafuoco (interprété par Sergio Castellito au sommet de son art dans sa capacité à intérioriser ses sentiments et ses pensées), mesure qu'un véritable complot s'est ourdi autour de lui, avec la complicité de l'Église, pour fabriquer une fausse preuve qui assurera la sanctification de la défunte et le prestige moral et matériel de la famille. Ses frères et ses tantes se sont ligués pour faire reconnaître la sainteté d'une femme qui a été assassinée par un de ses fils devenu fou : le garçon proférait d'horribles jurons que la mère cherchait à empêcher. Sa folie est peut-être venue d'un manque d'affection de la part de la mère, dont l'attitude souriante dissimulait une profonde indifférence.

Tenté un moment de rentrer dans le rang, tant sur le plan familial que religieux – tout pèse dans ce sens, même une belle jeune femme qui pourrait être un ange porteur de la Grâce qui le guette, mais aussi un stratagème de la chair pour le conduire au péché et à l'abandon de son agnosticisme –, Ernesto réaffirme pourtant les valeurs d'indépendance, de laïcité, de libre arbitre qui sont les siennes. Tandis que la famille au grand complet se rend à l'audience pontificale afin de voir reconnus son opiniâtreté et ses mérites, lui choisit d'accompagner son fils à l'école.

Alors que trop de films italiens actuels se bâtissent autour de modestes histoires familiales et se perdent dans des conflits psychologiques prévisibles, Bellocchio poursuit son œuvre en ne cédant rien de ses exigences et de son austérité. Il affronte ici une question d'éthique, voire de métaphysique : comment conserver son intégrité et sa droiture dans un contexte de pressions insupportables ? Comment ne pas se couper des siens tout en préservant son autonomie morale et ses convictions idéologiques ? Comment aussi affronter le souvenir d'une mère défunte dont le sourire demeure énigmatique et troublant – une femme sans tendresse, dont la sainteté n'existe que par le désir de ses proches et de l'institution religieuse de la canoniser à des fins d'instrumentalisation ?

Avec L'ora di religione (titre qui renvoie en italien à l'heure du catéchisme dispensé dans les écoles publiques), Bellocchio s'enfonce dans les méandres de l'âme humaine, balisant son film d'interrogations qu'il laisse en suspens, inventant des personnages qui sont comme autant de facettes d'un même mystère : l'éditeur de livres illustrés qui veut produire un film d'animation sur Santa Maria Goretti, le comte Bulla qui veut refonder la société sur les bases d'une monarchie absolue et qui provoque Ernesto en duel, le cardinal étonnamment[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne

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