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RIDING LAURA (1901-1991)

Les histoires littéraires ne citent généralement le nom de Laura Riding (née à New York) qu'en compagnie de ceux de John Crowe Ransom, Robert Pen Warren et Allen Tate dont elle serait l'indispensable complément féminin dans la création du mouvement des Fugitifs, en Virginie, dans les années 1920. Ce point a certes son importance, ne serait-ce que par le rappel qu'il exista une poésie « sudiste » sur la carte littéraire américaine de ces années-là. Mais l'itinéraire ultérieur de Laura Riding va bien au-delà et touche à la mystique. Renonçant à la poésie en 1938, elle n'y reviendra qu'en 1967 avec un court essai d'une cinquantaine de pages dont les propositions s'apparentent à une réflexion sur le langage. Cet essai, ainsi que les quatre cents pages de poèmes réunis par les éditions Carcanet à Manchester en 1980, représentent l'essentiel de son œuvre. Laura Riding est également l'auteur de romans et d'essais critiques, dont un écrit en collaboration avec Robert Graves.

D'emblée, cette poésie surprend pour ce qu'elle paraît droit sortie du xviie siècle. Métaphysique dans ses préoccupations, distante vis-à-vis des états du corps dont elle enregistre les comportements avec une sorte d'ironie sereine, elle se place dans la suite des recherches d'un Donne, d'un Crashaw ou d'un Vaughan. Dès lors, le paysage de lumière vespérale dans laquelle baignent tous les poèmes de Laura Riding revêt une allure fantastique et ambiguë : de quel côté sommes-nous dans ce monde de revenants, de doubles, de fantômes ? Toujours de l'autre côté de soi. Est-ce à dire que le lecteur soit mort ? Ou bien qu'il bénéficie du privilège d'éternité ? Le temps est ici un personnage omniprésent, prenant forme d'horloges de sable qui s'enrayent et s'enrouent, ou bien égrènent les lois du rêve ou du sommeil. E. A. Poe et T. S. Eliot ne sont pas loin.

Les poèmes posent des questions. L'essai sur le langage, The Telling, tente d'y répondre, audacieusement : l'homme, pour Laura Riding, souffre de l'oubli de la moitié féminine de lui-même. Condamné à une aridité agressive, il ne peut aller plus loin. Seule la femme, quand elle aura reconquis la part « mentale » d'elle-même, pourra reprendre avec son compagnon la route de l'unité. Ces cinquante-deux pages visionnaires écrites dans un anglais ardu, cassé par les traits d'union et les majuscules, prend néanmoins place à côté des prophéties d'un William Blake et d'un D. H. Lawrence. Ainsi Laura Riding, dont on citera également d'étranges poèmes apocalyptiques écrits directement en français, se place-t-elle au-delà de nos limites de lecture habituelles.

— Jacques DARRAS

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Écrit par

  • : écrivain, professeur de littérature anglo-américaine

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Pour citer cet article

Jacques DARRAS. RIDING LAURA (1901-1991) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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