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LA CLÔTURE (J. Rolin) Fiche de lecture

Toute existence est précaire. Mais certains êtres rappellent plus que d'autres, par la trajectoire accidentée de leur vie, cette perpétuelle mise en question de la destinée humaine. Ainsi, rien n'a jamais été sûr dans le parcours brillant de Michel Ney, maréchal d'Empire surnommé « le brave des braves », mais connu aussi comme un homme profondément irréfléchi. Il y a chez lui, écrit Jean Rolin, « quelque chose qui tient de la midinette, de l'artiste de variétés, quelque chose qui s'exprime tout au long de sa vie par des décisions intempestives et des volte-face, des accès de colère, de bouderie, des désarrois et des reniements ». Cette inconstance finit par le conduire en 1815, de reniement royaliste en ralliement à Napoléon, à être fusillé par les soldats de la Restauration, après son procès devant la Chambre des pairs.

Le boulevard qui porte son nom, entre les portes de Saint-Ouen et d'Aubervilliers, marquait la limite entre le nord de Paris et « la zone », au temps où le périphérique n'avait pas encore surgi à l'emplacement des fortifications. Dans ce secteur, le plan de Paris indique encore les seuls espaces « blancs » (« secteurs en travaux ») de cette région, parmi les plus urbanisées du monde. « La présence humaine s'y limite le plus souvent à celle des putes, de quelques toxicomanes, et d'un anachorète dont la résidence principale est établie dans une armoire électrique ouvrant sur le trottoir, sa résidence secondaire étant située de l'autre côté des voies du chemin de fer de ceinture, à l'intérieur d'un pilier de béton soutenant le pont ferroviaire. »

Depuis 1995, l'écrivain et journaliste Jean Rolin, prix Médicis pour L'Organisation (1996), chronique de ses années soixante-huitardes et maoïstes, parcourt les Zones (1995) de la région parisienne en véritable voyageur. Il décrit sa propre précarité, sa propre incertitude devant les codes d'une certaine intelligentsia comme devant les genres littéraires : écrit-on un « journal de voyage » comme Zones en allant d'hôtel en hôtel à travers la banlieue et en s'interdisant tout retour dans son domicile parisien ? Appelle-t-on « récit » des notes rassemblées au fil de déplacements journalistiques en ex-Yougoslavie pendant le siège de Sarajevo, où le tragique surgit du décalage entre certaines anecdotes et leur contexte, entre l'importance prise par le feuilletonTourbillons regardé soir après soir dans les caves de Mostar et la destruction du pont emblématique de la ville ? Écrit-on un « roman » comme La Clôture (POL, 2002), dans la chambre 611 de l'hôtel Villages dont la fenêtre donne sur le périphérique, après avoir déplacé de deux kilomètres vers l'est son premier dispositif à la suite du meurtre, rue de la Clôture, de la prostituée bulgare Ginka Trifonova, et modifié son projet après le refus de Naomi, jeune actrice rousse, de devenir « l'héroïne d'une fiction dont les deux personnages principaux auraient été [Jean Rolin] et le maréchal Ney » ?

Son processus d'élaboration rend atypique l'entreprise littéraire de Jean Rolin. Il choisit de placer l'auteur en situation de rupture par rapport à tous les repères, crée un espace-temps spécifique qui rejoint la fiction en mettant en relation un monde totalement déstructuré avec le récit chronologique, minutieux, des faits et gestes presque ritualisés d'un écrivain qui se déplace, se documente, note. Le point de vue adopté est alors celui d'un regard quasi photographique, recadrant en permanence la réalité, auquel il se trouve confronté, conduisant et dirigeant la vision d'un lecteur qui est aussi spectateur. À travers la forme même du livre, il s'agit de redonner une structure à des réalités éclatées, de créer un fondu enchaîné de rencontres unifiant l'apparente[...]

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Aliette ARMEL. LA CLÔTURE (J. Rolin) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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