Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SUPERVIELLE JULES (1884-1960)

Un prosateur

Favorisé d'une double nationalité, et jusqu'en 1940 d'une fortune en Uruguay, il dut à cette conjoncture de ne jamais gagner sa vie, de ne jamais écrire pour un public, ou pour l'argent ; de connaître aussi bien l'Atlantique et les débarcadères que la pampa, l'Iguazú, ou le « 47 boulevard Lannes » ; enfin, de passer la guerre de 39 à Montevideo, où il écrivit les Poèmes de la France malheureuse, beaucoup de contes et du théâtre. Mais il resta fidèle au pays natal, ce qui nous vaut Boire à la source. Les caractères de sa poésie imprègnent toute sa prose : plus d'un conte fut d'abord un poème, tel roman devint conte ou pièce de théâtre. Ni L'Homme de la pampa ni Le Voleur d'enfants ne répondent sans doute à notre idée du roman. Féeries, plutôt, en dépit de ce qu'ils nous révèlent des profondeurs d'un homme qui se déguisa d'abord en humoriste triste. Mais les meilleurs des contes : L'Enfant de la haute mer, Le Bœuf et l'âne de la crèche, Le Bol de lait, dix autres, composeraient une anthologie en son genre unique dans la littérature française : force métamorphoses, un bestiaire qui serait le négatif de celui de Lautréamont – rien que des bêtes innocentes, ou qui se rendent inoffensives –, un agrément, une fantaisie qui ne sauraient dissimuler la gravité des obsessions (hantise des parents perdus, de la mort), tous les tons en un seul récit, voilà qui d'emblée lui valut des admirateurs.

Il eut quelque mal, en revanche, à s'imposer sur la scène. Quelle idée aussi de se hasarder au théâtre quand on a les conflits en horreur ! L'échec de Bolivar est pourtant dû à des raisons politiques au moins autant qu'aux faiblesses du dramaturge. Quand le fascisme tentait de s'imposer en France, ce Bolivar parut déplacé : il prônait le libertador ! La Belle au bois charma quand même avant 1939 ; après 1945, Robinson, Shéhérazade et surtout Le Voleur d'enfants, qui fut le grand succès de Supervielle dramaturge. Point de vis comica dans ces œuvres, qui ne tiennent que par la vertu de la poésie et du vers parfois de mirliton. Expérience néanmoins décisive, car la simplicité du poète fut conquise en partie grâce à la discipline qu'exigeaient de lui la rigueur scénique et le langage de théâtre.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

Classification

Pour citer cet article

ETIEMBLE. SUPERVIELLE JULES (1884-1960) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Voir aussi