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CHEEVER JOHN (1912-1982)

Né dans le Massachusetts, John Cheever est presque un auteur régionaliste. Sa région, c'est l'est des États-Unis : la Nouvelle-Angleterre, New York et sa grande banlieue ; lorsqu'il quitte l'Amérique, c'est toujours pour nous emmener en Italie — surtout à Rome — où il séjourna quelque temps. Ses lieux de prédilection sont le petit village maritime de Saint Botolph (The Wapshot Chronicle, 1957 ; The Wapshot Scandal, 1964), les faubourgs résidentiels de Shady Hill ou Bullet Park (Bullet Park, 1969), les quartiers chics de New York, les vieux palais délabrés des villes italiennes et, exceptionnellement, une prison de Washington (Falconer). Rares sont les timides incursions dans les quartiers pauvres, que ce soient ceux de la grande ville ou du village.

Il y a quelque chose d'anachronique dans les récits de John Cheever. Les personnages sont immanquablement des bourgeois ou des aristocrates italiens qui vont de cocktails en soirées. Une hiérarchie sociale rigide — digne du faubourg Saint-Germain — indique la place de chacun. Le conformisme est la vertu suprême.

Cependant, comme dans le Winesburg, Ohio, de Sherwood Anderson, un rien pourrait faire basculer la communauté dans le chaos économique et moral. En effet, les personnages de Cheever sont minés par la dépression et la peur de vieillir. Bullet Park, comme Winesburg, est « immaculé et obsédé par le sexe », mais ses habitants paraissent trop veules pour se révolter ; quand il le font, c'est par la tentative désespérée d'un meurtre gratuit (Bullet Park). Un nombre considérable de divorces et de séparations jalonnent le récit. Reno — le Las Vegas du divorce — figure en bonne place dans ces histoires de familles à vau-l'eau, de couples qui se défont, d'adolescents prostrés au lit pendant plusieurs semaines.

Il est vrai que les portraits de femmes sont chargés. Le plus souvent ce sont des moms dévirilisantes, capricieuses, stupides, sœurs jumelles des mégères d'Edward Albee. Mais les hommes ne sont guère gâtés, eux non plus : « paumés » dans le monde moderne, nostalgiques du rêve viril américain, ils fuient la réalité dans l'alcool, la drogue (Falconer, Bullet Park), l'amour pour la baby-sitter, l'homosexualité. Si l'œuvre de Cheever est hantée par le fratricide, la séparation des couples, l'homosexualité, il a toujours clamé son désir de chanter la vie, la rigueur morale. Il a souhaité faire de son œuvre un rempart contre la déchéance et la mort.

L'œuvre de Cheever se veut une « comédie humaine ». Certains personnages, certains lieux se retrouvent de nouvelle en nouvelle, de roman en roman. Il paraît d'ailleurs arbitraire de séparer les nouvelles des romans : ces derniers ne sont guère que des nouvelles artificiellement regroupées et sans véritable intrigue, tandis que ses nouvelles ont souvent l'air de débuts de romans inachevés. Dans ses romans, le point de vue change, divers narrateurs s'arrachent le relais, l'auteur s'essaie à plusieurs techniques — journal intime, lettres, récit dans le récit. Rares sont les nouvelles qui ont une « chute », et plus d'une nous laisse sur notre faim.

Il faut lire l'œuvre de Cheever pour sa lucidité et sa simplicité, son humour pince-sans-rire, son don d'observation. L'écrivain a l'art de la litote et du raccourci, le génie du dialogue pris sur le vif et de la formule qui fait mouche sans avoir l'air d'y toucher. De moindre envergure que ses maîtres : Henry James, Sherwood Anderson ou Scott Fitzgerald, il devient leur égal l'espace d'un paragraphe ou d'une formule. Il a lui-même comparé son œuvre à de « brillants reflets sur l'eau, sans lien peut-être avec l'eau elle-même mais fascinants par leur couleur et leur lumière ».

— Georges-Michel SAROTTE

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Georges-Michel SAROTTE. CHEEVER JOHN (1912-1982) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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