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MELO NETO JOÃO CABRAL DE (1920-1999)

La vie de l'écrivain brésilien João Cabral de Melo Neto, né en 1920 à Recife, se confond, nous dit-il, avec ses postes de diplomate, en particulier en Espagne, sa seconde patrie, d'abord à Barcelone où il se lie avec les artistes d'avant-garde, Miró, Tàpies, puis à Séville, où il découvre la sensualité et la luminosité en même temps que la tradition ibérique et médiévale. Reconnu comme un poète majeur (il obtient le prix Camoes en 1990), atteint de cécité sur ses vieux jours, il cesse alors d'écrire. « J'ai besoin de voir mon écriture construisant le vers. J'écris comme qui construit une maison. »

Cabral de Melo Neto se situe à part dans le trajet poétique de la modernité brésilienne. La « génération de 45 », où on le place parfois de par sa naissance, se marque certes par un retour à l'ordre, mais compris comme restauration néo-traditionaliste d'un lyrisme raffiné ; Cabral, quant à lui, est surtout attentif à la « psychologie de la composition », titre qui fait écho à la tradition Mallarmé-Valéry, moins dans leurs pratiques que dans leur esthétique glosant E. A. Poe.

Innovateur reconnu comme un maître de la jeune génération concrétiste, Cabral ne sacrifie pas pour autant à l'avant-garde. Sensible au surréalisme dans son premier livre (Pedra de sono, 1942), il va vite se « libérer de sa diction nocturne et morbide ». Ses références sont Le Corbusier, Mondrian, le cubisme. O Engenheiro (L'Ingénieur, 1945), poésie sèche, en mètres courts non rimés, sans effusion sentimentale ni discursivité rhétorique, traduit cette Éducation par la pierre (1946), ascétique, austère, dominée. Poésie hostile à l'inspiration, à l'irrationnel, au subjectif. Poésie d'une « nouvelle objectivité » comme retour aux choses mêmes ; édification algébrique du poème dans une langue nue, qui heurte et non qui glisse, refusant tout ornement. La lecture oscille alors entre poésie méta-linguistique et phénoménologie du regard, voire pétrification du monde dans sa dureté minérale, celle de son Nordeste natal. Seule la métaphore parvient à poétiser cet univers de l'objectivité, qualifié parfois de réalisme transcendantal. La modernité de João Cabral se confond ici avec une poésie de la négativité, véritable École des couteaux, pour reprendre le titre d'un recueil (1980). Son « parler avec les choses » rappelle un Ponge moins précieux, un monde plus minéral et dur où, pour certains, l'homme vient à disparaître. « La poésie n'est pas intérieure. Elle est comme une maison. Extérieure. » Poésie opaque et transparente à la fois, dépourvue d'arrière-monde, mais qui sait retrouver la veine populaire de son peuple, redécouverte à travers le romancero ibérique, faite de sécheresse mais aussi d'efflorescence côtière à l'image d'une région où opulence et misère coexistent.

Morte e vida Severina (1955), drame social, ou plutôt auto sacramental de Noël du Pernambuco mis en musique par Chico Buarque et représenté au Festival universitaire de Nancy en 1966, dit la lutte entre la mort qui assiège Severino fuyant la misère de son pays, et la vie représentée par le charpentier Jose, qui le convainc de ne pas se suicider en même temps qu'il apprend la naissance de son fils. L'œuvre, dans sa matrice populaire, incorpore le modèle dramatique et le modèle narratif sans pathos ni didactisme, et se place au confluent des Duas Aguas (Deux Eaux, 1956), où la rigueur de la composition constructive (« Carrés contre l'improvisation », ses poèmes en hommage à Juan Gris et à Mondrian) s'allie à la sensualité et à la musicalité de l'Espagne, « un Nordeste avec moins de misère et d'inégalité ». Par là, Cabral s'enracine dans sa région natale et sa veine sociale, démentant l'image d'hermétisme et d'insensibilité. Sa poétique, revendiquée[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire de littérature comparée, université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Pierre RIVAS. MELO NETO JOÃO CABRAL DE (1920-1999) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BRÉSIL - La littérature

    • Écrit par Mario CARELLI, Ronny A. LAWTON, Michel RIAUDEL, Pierre RIVAS
    • 12 169 mots
    L'exceptionnelle qualité de la fiction a son équivalent dans la poésie. João Cabral de Melo Neto (1920-1999), dans un parcours presque ascétique, réussit à construire des textes avec la rigueur d'un ingénieur. Son régionalisme d'épure n'accepte aucune compromission avec le folklore. Après ...

Voir aussi