MARÍAS JAVIER (1951- )
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Un thème central, la trahison
En 1998, Javier Marías surprend avec Negra espalda del tiempo (Dans le dos noir du temps), œuvre polymorphe où se tissent autobiographie, biographie et fiction, et dans laquelle l'écrivain revisite son roman Todas las almas (1989, Le Roman d'Oxford) considéré à tort, selon lui, comme une autobiographie. Dans cette œuvre émaillée de documents iconographiques et de reproductions de coupures de presse, il mêle aux biographies d'écrivains aujourd'hui disparus des réflexions sur l'écriture et des souvenirs personnels, notamment ceux qui concernent son frère mort prématurément. Le temps intérieur présent dans de subtiles digressions se dessine parallèlement à cet autre temps qui, devenu fantôme ou fantasme au fil de l’œuvre de Javier Marías, hante son écriture.
Commencé en 2002 et achevé en 2007, Tu rostro mañana (Ton visage demain), le grand œuvre de Javier Marías, convoque à nouveau, de Madrid à Oxford, l’univers et le cadre de Todas las almas. Publié en trois volets (Fiebre y lanza, 2002, Fièvre et lance ; Baile y sueño, 2004, Danse et rêve ; et Veneno y sombra y adiós, 2007, Poison et ombre et adieu), cet ensemble que l’auteur se défend de considérer comme une trilogie s’inscrit sous le signe d’un thème novateur dans le corpus de Marías, celui de l’espionnage. Jaime Deza, le narrateur et héros de Todas las almas, va devenir, sous l’influence de Peter Wheeler et du mystérieux Bertram Tupra, agent des services secrets britanniques. Il se verra confier une mission singulière, celle de déchiffrer sur le visage de l’autre les sentiments et les intentions susceptibles d’influencer ses actions futures. Dans cette œuvre monumentale s’entremêlent plusieurs univers : le monde universitaire incarné par le prestigieux hispaniste Peter Wheeler, lié comme le narrateur à l’ami défunt, Toby Rylands – lui aussi ancien professeur de l’université d’Oxford et figure clé du roman Todas las almas –, l’ambiance des soirées mondaines, les fameuses high tables, et les intrigues sombres et sordides dignes d’un roman policier. Le thème de la trahison, sujet de prédilection de l’auteur, est omniprésent avec, en toile de fond, l’image du père du narrateur incarcéré après avoir été trahi par son meilleur ami pendant la guerre civile espagnole, telle une résurgence de l’histoire intime de Javier Marías profondément marquée par celle de son père. Malgré la gravité et la noirceur des thèmes traités, le narrateur joue de digressions cocasses, comme celles qui ont trait aux menstruations – une image obsessionnelle du deuxième volume, Baile y sueño. Sur ces pauses digressives, humoristiques ou philosophiques se greffent des commentaires linguistiques touchant des problèmes de traduction relatifs notamment au passage de l’anglais à l’espagnol, et inversement.
En 2011, dans son roman Los enamoramientos (Comme les amours), l’auteur s’appuie pour la première fois sur une instance narrative au féminin, prêtant sa voix à une éditrice du nom de María Dolz qui s’immisce dans la vie d’une veuve, Luisa Desvern après avoir épié quotidiennement et pendant plusieurs années « le couple parfait » qu’elle formait avec son défunt mari. L’œuvre pourrait se lire comme une enquête policière, où il s’agirait de retrouver l’assassin de Miguel Desvern (ou Deverne). Mais le meurtre sauvage sur lequel s’ouvre le roman invite à une tout autre réflexion d’ordre philosophique sur la place que les vivants accordent aux morts et sur les conséquences que le retour de ces derniers dans notre monde pourrait générer. Les intrigues qui se trament dans ce roman sont revisitées à la lumière de trois grandes œuvres littéraires, Le Colonel Chabert de Balzac, Macbeth de Shakespeare et Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Les jeux d’intertextualité qui nourrissent l’œuvre ne se limitent pas à de simples procédés formels ; ils confèrent tout leur sens aux différentes histoires étroitement liées à la narration principale. C’est aussi la dimension humoristique et ironique de son écriture qui transparaît à travers les figures comme brouillées de personnages réels, notamment celle de l’éminent philologue, le professeur Francisco Rico.
Publié en 2014, Así empieza lo malo (Si rude soit le début), ancré dans la période historique de la transition espagnole, prend pour cadre l’univers du cinéma. Le protagoniste du roman, le cinéaste Muriel Noguera, côtoie acteurs et réalisateurs, notamment un certain Jess Franco dont le nom r [...]
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Écrit par :
- Corinne CRISTINI : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, agrégée, maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne
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Pour citer l’article
Corinne CRISTINI, « MARÍAS JAVIER (1951- ) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/javier-marias/